jeudi 7 décembre 2017

Zelig (Woody Allen, 1983)

Zelig précède de quelques mois Spinal Tap de Rob Reiner, ce qui fait du film de Woody Allen l’un des plus anciens mockumentary de l’histoire du cinéma. Défiant ses habitudes, le générique d’ouverture ne donne que le titre, escamotant les noms des acteurs, il cherche avant tout à faire comme si son film était un vrai documentaire en incluant un carton de quelques lignes, aujourd'hui, on dirait que c'est tiré d'une histoire vraie. Il enchaîne immédiatement avec l'intervention, face caméra, assise sur un fauteuil de la psychanalyste Susan Sontag. D'autres viendront parler du cas Zelig, notamment, pour ne parler que du plus connu, Bruno Bettelheim.

Ce personnage étrange qu'est Zelig, bien entendu incarné par Woody Allen, a eu ses débuts dans l'histoire de New-York en 1928. Passant de la couleur pour les interviews de 1983 au noir et blanc, les anecdotes et les témoignages commencent à se multiplier sur Leonard Zelig. La première décrit Zelig dans une soirée mondaine où il discute avec les gens riches et vante le Part Républicain, plus tard, il parle avec les cuisiniers et défend les Démocrates. C'est à grand renfort de photographies, de films d'époque et de coupures de journaux que 1928 est reconstitué, des images où Woody Allen est habilement incrusté.

Le récit, narré par une voix off comme dans un documentaire de télévision (celle de Patrick Horgan), s’emballe avec la notoriété acquise par Zelig, vite repéré par une flopée de psychiatres qui ont tous des diagnostics opposés. Eudora Fletcher (Mia Farrow) est le médecin qui aura la charge de suivre le cas que constitue Zelig. Woody Allen commence alors à les filmer tous les deux comme dans un film de 1928 (mais au format cinémascope), avec ces voix chevrotantes comme à ces débuts du parlant et ces images noir et blanc pleines de traits, de poussières, de ratures. En 1983, la vraie Eudora, 55 ans plus âgée (en fait une actrice) se rappelle cette histoire.

La vie de notre personnage fait l'objet d'une enquête où le commentaire fait preuve d'une ironie mordante, mais dite sur le ton le plus sérieux possible. Le récit de son enfance, par exemple, est décrite de manière quasi surréaliste, avec des détails croustillants et des entretiens avec quelques personnes qui ont connu Zelig ou sa famille qui frôlent constamment le non-sens. C'est que l'accumulation des malheurs de Leonard Zelig crée immanquablement une augmentation de l'humour, un humour noir et blanc qui reflète parfaitement le sentiment de l'époque où Francis Scott Fitzgerald côtoie, dans les images d'archives, une manifestation du Ku Klux Klan.

C'est suffisamment rare pour le signaler, le cinéaste utilise des chansons spécialement composées pour lui en plus des morceaux de jazz. Ces morceaux reflètent le vedettariat de Leonard Zelig qui fait les choux gras de la presse. Immédiatement, Hollywood s'intéresse à son destin d'homme caméléon (à côté d'un Noir, il devient Noir, d'un Chinois ses yeux sont bridés, d'un gros il devient obèse, de deux rabbins une barbe lui pousse sur le visage). Le film s'appelle The Changing man. Les chansons sont titrés Chamelon Day, Reptile Eyes. Le business, décrit avec minutie, comprend des jeux de société, des livres, des disques. Business is business.

Mais revenons à la psychanalyse, c'est tout de même le sujet favori de Woody Allen. Le Dr Fletcher cherche à percer le mystère et Zelig avouera que « c'est sécurisant d'être comme les autres. Je veux être aimé ». Il plaide son manque total de personnalité et qu'imiter ceux qui l'entoure est un moyen d'exister. Face à Eudora, il se prend pour son psychiatre et la considère comme sa patiente. Comme dans tout film de Woody Allen, par un transfert typique de la psychanalyse, ils tombent amoureux l'un de l'autre. Mais surtout, elle inverse le cerveau sans personnalité de Leonard Zelig qui devient, à l'inverse, un homme avec un avis sur chaque sujet.


La célébrité ne dure qu'un temps et le temps de la chute de popularité va commencer quand sa vie précédente le rappelle à la réalité. Il serait polygame, un escroc, un chauffard. La justice s'en mêle et il prend la fuite. C'est grâce aux actualités d'époque que Eudora le retrouve au côté du Pape ou derrière Hitler. Pour Woody Allen, c'était l'occasion d'un changement radical de registre, il avait déjà fait des films en costumes mais en conservant son ton habituel et c'était une manière de parler politique à l'aune du spectacle médiatique, d'une période où les Etats-Unis sont passés de l'insouciance totale au réveil brutal de la crise sans sa soucier des fascismes. Zelig est le réceptacle de cette insouciance et de ce réveil.






























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