lundi 4 décembre 2017

La Fête à Henriette (Julien Duvivier, 1952)

La censure a encore frappé. Deux scénaristes viennent de recevoir un coup de fil et leur script n'a pas reçu l'assentiment de la censure d'état. Le tournage est donc annulé tout autant que le générique de La Fête à Henriette où les noms sont remplacés par des points. Le film est en suspension, il faut écrire une nouvelle histoire. Immédiatement, les avis entre les deux scénaristes divergent, et ils ne cesseront de se contredire, l'un (Henri Crémieux) dans la drame absolu avec quelques morts dans l'histoire, l'autre (Louis Seigner) qui lui demandera immanquablement « que fait-on du cadavre » avant de se remettre à la tâche avec une histoire plus raisonnable et moins sinistre.

Cette même année 1952, Julien Duvivier tourne Le Petit monde de Don Camillo, il en est fait discrètement référence dans les premières scènes quand les deux scénaristes cherchent dans le journal un fait divers qui ferait une bonne histoire pour un film et évoquent les disputes entre un curé et un maire communiste. Avec leur dactilo Nicole (Micheline Francey) et entourés de deux jeunes femmes de joie, dans une maison à la campagne, ils imaginent qui pourrait être leur héroïne, l'un veut une belle Suédoise, l'autre propose une femme simple, elle sera couturière et s'appellera Henriette. Tout se passera le jour de la Sainte Henriette, c'est à dire le 14 juillet.

Henriette (Dany Robin) est une jeune femme qui vit chez ses parents, à l'Elysée. Le papa est Garde Républicain et la maman est au foyer. Henriette a un amoureux, Robert (Michel Roux, c'est la première fois que je le vois dans un film, je suis plus habitué à sa voix doublant Tony Curtis dans Amicalement vôtre). Il est photographe dans un magazine. Il fait une belle proposition à Henriette, faire un reportage de bal en bal, de quartier en quartier, ils seront tous les deux dans Paris en fête. Elle espère qu'à la fin de la journée, quand le feu d'artifices, sera lancé, il la demandera en mariage, l'apothéose de cette fête.

Le film fait des constants allers-retours entre les chamailleries des deux scénaristes et le nouveau bout de récit qui se lance. Ce qui ne sera pas accepté est filmé avec un cadre oblique, décentré, comme pour rappeler que l'un des auteurs a des idées tordues (une noirceur digne d'un polar) ou scabreuses (des filles dénudées faisant dire à Nicole que cela est de la pornographie). Ce qui est amusant est bien entendu de voir toutes ces séquences où les personnages sont plongés dans ces méandres scénaristiques et cet érotisme, ce qui en 1952 aurait dû provoquer les foudres de la censure de l'Etat.

L'inventivité des deux scénaristes est débridée avec l'arrivée de Maurice (Michel Auclair) – il est d'abord prénommé Marcel – un charmeur qui croise Henriette et va tenter de la séduire pendant que Robert est parti à l'autre bout de Paris photographier une artiste du Cirque Medrano, la sculptureuse écuyère Rita Solar (Hildegard Neff), il est très attiré par cette femme qui saura user de son charme pour flirter avec lui (dans une scène, elle porte un peignoir noir transparent). Une fois les amoureux séparés, tout est permis pour les deux scénaristes.

La vedette du film étant tout de même Michel Auclair, c'est son personnage qui a le plus grand nombre de scène. Maurice est un cambrioleur, ce que Henriette ignorera pendant tout le temps qu'elle est avec lui. Quand le scénariste dramatique fait bifurquer le récit vers le film noir (il la fait même mourir « que fait-on du cadavre ? »), l'autre reprend la main pour amener l'histoire vers la comédie avec des complices de Maurice, l'un est joué par Julien Carrette. Cette comédie regorge alors de quiproquos burlesques et de variations infimes.


Difficile de ne pas faire le rapprochement entre ces deux scénaristes et le duo Pierre Bost et Jean Aurenche, les auteurs des films de Claude Autant-Lara qui se plaisaient dans la noirceur comique (la même année sort L'Auberge rouge). Julien Duvivier et Henri Jeanson doivent aussi se souvenir du duo explosif que Duvivier formait avec Charles Spaak dans les années 1930. Mais ce que l'on peut aussi remarquer et que jamais les deux scénaristes ne parlent du réalisateur, eux-mêmes se considèrent comme les auteurs de ce film en train de se faire. C'était avant la politique des auteurs.





















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