vendredi 8 décembre 2017

En attendant les hirondelles (Karim Moussaoui, 2017)

En février 2015, le court-métrage (de 50 minutes quand même) Les Jours d'avant sortait en salles, j'avais beaucoup aimé ce premier film de Karim Moussaoui que je trouvais très maîtrisé et admirablement bien dirigé. Voici En attendant les hirondelles le deuxième premier film du cinéaste algérien qui conserve sa forme à la Kiarostami, des paysages montagneux et ocres que traverse une voiture, cette fois – comme un prolongement de ce court-métrage – ce sont trois histoires qui s'enchaînent.

La voiture de Mourad (Mohamed Djouhri) file entre les nouveaux immenses immeubles en construction pour se rendre chez son ancienne épouse Lila (Sonia Mekkiou), inquiète pour leur fils qui veut quitter l'école de médecine. Voilà pour le début du premier récit. Dans le troisième, Dahman (Hassan Kachach) un médecin va faire face à une femme (Nadia Kaci) qui vit dans un bidonville. Elle lui reproche de ne pas être intervenu quand elle a été violée pendant la guerre civile. Elle veut qu'il donne son nom à son fils.

C'est le deuxième segment qui est le plus long et le plus beau. Djallil (Mehdi Ramdani) doit traverser l'Algérie en voiture pour conduire un père et ses deux filles à un mariage. Aïcha (Hania Amar) est la jeune fiancée. Foulard sur la tête, elle ne dit pas un mot pendant une partie du trajet. Un petit incident, le père et l'autre sœur ont une intoxication alimentaire. Ils doivent passer la nuit à l'hôpital. Djallil et Aïcha vont rester ensemble dans un hôtel au milieu de nulle part avant de reprendre le voyage.

Tous deux se connaissaient auparavant, avant qu'elle ne soit fiancée. Les regards qu'ils ne se donnent pas, qu'ils esquivent tout autant que de parler ensemble sont des signes qui ne trompent pas. Elle a gardé au poignet le bracelet que Djallil lui avait offert. Ils vont se promener, elle ramasse deux grenades (le fruit, pas l'explosif), elle va danser dans un café désert, demandant au groupe de musique désœuvré une chanson rock. Elle enlève son foulard, elle étend ses cheveux sur ses épaules et Djallil la rejoint pour danser.

Derrière le plaisir de découvrir trois histoires simples, admirablement bien racontées, avec patience et dignité (ce qui manquait à La Belle et la meute), ce sont trois portraits de femmes opposées qui composent le film. Lila la grande bourgeoise libérée qui mélange le français et l'arabe à chaque phrase, Aïcha qui se perd dans une tradition voulue par son père et la femme du bidonville pauvre mais au regard perçant et fier. A ces trois femmes, il faut ajouter le personnage de Aure Atika, française déçue par son « retour au bled » qui va quitter Mourad.

Ce sont les temps de latence, l'attente qui traversent la mise en scène de Karim Moussaoui. La musique a une grande importance, du classique sur des 33 tours (Bach) en intradiégétique, l'adagio d'Aram Khachaturian que je n'avais entendu que dans 2001 l'odyssée de l'espace lors du deuxième récit (c'est sublime). Et dans cet endroit perdu, entre deux routes et trois montagnes sans arbres, un groupe de rock se met à chanter, impossible de ne pas penser à l'interlude dans l'église de Holy motors pour cette pause musicale.


En attendant les hirondelles (métaphore pour parler du printemps donc du renouveau) n'est pas un film choral. Les transitions se font simplement, un personnage débarque en voiture pour lancer le nouveau récit. L'hôpital revient dans chaque récit, manière d'évoquer sans appuyer que l'Algérie est en convalescence. Le cinéaste emploie la caméra steadycam ou au drone pour filmer ses personnages et la nature dans des plans aériens et dynamiques, des plans fixes pour cadrer la ville, le bidonville, les nouveaux quartiers. C'est un très beau film.

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