lundi 18 septembre 2017

Le Redoutable (Michel Hazanavicius, 2017)

Des jeux de mots. Jean-Luc (Louis Garrel) explique à ses amis Rosier et Bambam la tournée américaine qu'il s’apprête à faire avec Anne (Stacy Martin). Ils vont aller à Harvard puis deux jours à New York et retour à Paris. « Vous partez de New York si tôt ? » dit Rosier. « On ne dit pas New York si tôt, mais New York City ». Ce gentil jeu de mots est donné assez tôt dans Le Redoutable et sera suivi par deux autres sortis par Jean-Luc pour illustrer cette période que le cinéaste souhaitait abandonner avec La Chinoise, point de rupture totale.

Le Redoutable commence avec une courte séquence de tournage de La Chinoise, il continue avec la lecture des critiques (ici un extrait de Combat plutôt que de choisir la critique acerbe que François Mauriac avait écrit dans Le Figaro, cela aurait appuyé le fait que l'écrivain était le grand-père d'Anne Wiazemsky) et ça file à la conférence de presse où les reporters l'interrogent que sur le mariage et se poursuit avec la présentation du film au Festival d'Avignon et les gens qui quittent le Palais des Papes comme à un vulgaire film de Straub.

Michel Hazanvicius s'exerce à un périlleux exercice, reconstituer non pas une époque (de l'été 1967 à fin 1968), mais une texture de film, comme il procédait dans les deux OSS 117 et dans The Artist. Imaginer une texture : un grain d'image (ici franc pareil que le 35mm), des couleurs (celles criardes des films de JLG, rouge et bleu vifs évidemment), les murs à remplir (une photo de Novalis ici, l'un des enjeux des personnages de La Chinoise) et surtout un rythme. Le film n'est composé que de courtes scènes, de fragments, d'éclats.

Parmi certains de ces éclats, les nombreuses scènes de repas balisent le film. Les repas sont l'occasion de discuter et de se disputer. Le premier a lieu dans un restaurant chinois où on mange des nouilles, le deuxième on mange des carottes rapées, le dernier, en Italie, pendant le tournage de La Semence de l'homme de Marco Ferreri est celui de la cène, la rupture entre Anne et Jean-Luc. La dernière fois que la méthode godardienne ne fonctionne plus : dire des horreurs à la face de son interlocuteur puis s'excuser piteusement même s'il n'en pense pas un mot.

C'est la vie quotidienne qu'il se plaît à filmer. Quelques scènes intimes, un petit déjeuner identique à celui d'Henri dans La Chinoise, deux scènes d'amour, la première délicate cadrée en très gros plans et en noir et blanc (très période Une femme mariée), et aussi plusieurs scènes où le jeune couple va voir des films en salle, un western en VF, le Jeanne d'Arc de Dreyer. A Cannes, Jean-Luc lira des polars divers, des romans de gare pendant qu'Anne va se baigner dans la mer. Le petit séjour cannois 1968 se termine en immense et jubilante engueulade entre tout ce beau monde.

Dans une des dernières scènes de OSS 117 Rio ne répond plus, Dolorès, l'agent secret israélienne, déclarait à Hubert Bonisseur de la Bathe qu'il « a une vision des femmes archaïques, qu'il est imbu de lui-même, parfois à la limite du racisme, qu'il est infantile, qu'il n'est pas drôle ». Jean-Luc est dans ce genre de personnage, les deux films se situent à la même époque. C'est moins un portrait de Jean-Luc Godard le cinéaste et l'époux maladivement possessif, que celui d'un personnage égaré dans une époque dont il ne maîtrise plus les codes tout en cherchant à les inventer.

La difficulté pour Michel Hazanicius est le namedropping, l'avalanche de personnages réels qui entrent en scène. Il faut un bon moment pour que l'on sache que Bérénice Béjo joue la cinéaste Michèle Rosier, son nom n'est donné que tard (on appelle les gens par leur nom de famille) « Rosier va à Cannes on peut loger chez son beau-père Lazareff », suivi par la présentation du journaliste de France Soir en images d'archives. Michel Cournot (Grégory Gadebois) a une place de choix dans le film, journaliste à l'Obs et cinéaste présentant un film au Festival de Cannes 1968.

Le cinéaste double la difficulté en n’incluant pas dans son récit des gens plus renommés comme Jean-Pierre Léaud ou ses pairs cinéaste (Truffaut, Chabrol, Lelouch) qui ont interrompu le Festival de Cannes. Il fait même l'impasse sur les soubresauts dans le palais du Festival, on n'en entendra que les phrases les plus célèbres, vous savez cette histoire où on nous parle travelling et gros plans. En revanche on a droit à une courte scène avec Romain Goupil (un CRS qui contrôle les papiers du couple) et une autre avec Jean-Pierre Mocky.

La période choisie pour parler de Godard est l'une des moins connue de sa vie (avec le passage Grenoble / vidéo de 1973 à 1978). Longtemps les films de la période Dziga Vertov ont été invisibles. L'arrivée dans le film de Jean-Pierre Gorin (Félix Kysyl), influence majeure et partenaire dans le crime entre 1968 et 1972, puis celle de Jean-Jack (Arthur Orcier), pseudonyme pour Jean-Henri Roger, compagnon de Juliet Berto, risquent de décontenancer plus d'un spectateur à l'image de tous ces quidams qui arrêtent Jean-Luc pour lui dire qu'ils adorent A bout de souffle et espèrent qu'il fera à nouveau ce genre de cinéma.

Tout n'est pas bon dans Le Redoutable, certaines afféteries visuelles sont peu convaincantes. Je pense à cette scène de nu gratuite, les images en positif, les titres horripilants des chapitres mais Michel Hazanavicius a réalisé un film à la fois amusant (le burlesque quand Jean-Luc casse ses lunettes, le symbole de son personnage de Godard était aussi l'un des sujets de Visages villages d'Agnès Varda) et d'une immense tendresse. Pour parvenir à parler de cette période complexe, le cinéaste use de beaucoup d'ironie mais jamais de sarcasme (la critique lui est bien tombée dessus cette semaine), un portrait pour le pire et le meilleur de Godard.

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