mardi 29 août 2017

Faux semblants (David Cronenberg, 1988)


Le héros cronenbergien a toujours été grand, au menton carré, les yeux clairs et les cheveux abondants, mais dans Faux semblants, c'est la première fois qu'il porte une paire de lunettes qui est exactement comme celle du cinéaste. Sur les photos de tournage, David Cronenberg à côté de Jeremy Irons semble jouer le deuxième frère Mantle. Ça n'a l'air de rien mais cela indique la place qu'occupait alors le cinéaste, un pied totalement au Canada et dans le cinéma d'auteur, un pied à Hollywood où il devait composer avec ses producteurs effrayés par son imaginaire débordant.

En guise de paire, il s'agit de deux paires de lunettes puisque Elliot et Beverly Mantle sont jumeaux. Dans la première séquence, ils sont enfants à Toronto en 1954, ils sont observés bizarrement par les autres enfants. Déjà, ils s'enferment dans leur chambre pour observer la « beauté intérieure » des corps. Extra-terrestres aux yeux des autres (aucun autre personnage ne portera de lunettes), c'est sans doute pour cela que l'un d'eux s'appelle Elliot, comme l'enfant dans le film de Steven Spielberg (et dans Elliot, il y a les lettres ET comme disait un critique).

Une seule séquence se déroule aux USA, à l'université du Massachusetts en 1967 quand les Mantle reçoivent leur diplôme pour revenir en 1988 à Toronto où ils sont devenus gynécologistes. Ils travaillent et vivent ensemble mais désormais Elliot ne porte plus de lunettes, sauf lorsqu'il doit remplacer Beverly, plus timide, moins à l'aise avec les gens de l'extérieur. Ainsi quand les deux frères donnent une conférence, c'est Elliot qui monte à la tribune et donne un discours à ses confrères médecins.

« Beverly, c'est un prénom de fille » dira Claire Niveau (Geneviève Bujold), « Non, l'orthographe est différente ». Claire, actrice célèbre, consulte chez les célèbres gynécologistes Mantle pour évaluer son infertilité. Elle ignore qu'ils sont jumeaux. Elliot couche avec elle (en portant les lunettes) puis incite Beverly à faire de même. Un jour, une amie de Claire lui annonce qu'elle a couché avec les deux frères et que tout le monde est au courant. Elle les confronte dans un restaurant où elle balance un verre à la tronche d'Elliot.

La transformation des jumeaux passe par les médicaments de Claire que Beverly, qui devient son amant officiel, ingurgite jusqu'à plus soif. Cette transformation est invisible, en tout cas elle ne passe pas par une métamorphose du corps (Videodrome, La Mouche), des pouvoirs surnaturels (Scanners, Dead zone). Certes, Jeremy Irons joue l'addiction aux médicaments avec fébrilité, avec des regards tendus, des crises d'angoisse, des tremblements de main mais c'est sa vision du monde qui se modifie radicalement.

Il espérait un concours de « beauté intérieure » comme il existe des concours de Miss. Cet intérieur du corps, il est finalement rarement directement visible dans Faux semblants. Lors d'une opération de démonstration, quand Beverly et ses assistants revêtent ces blouses rouge sang, David Cronenberg ne filme pas frontalement les entrailles mais l'écran sur laquelle la vidéo de l'opération est diffusée, comme une performance artistique, de l'art contemporain auquel le public, des scientifiques, ne comprennent rien.

Beverly voit les vagins des femmes, leur intérieur, comme mutants. Quand germe l'idée délirante de créer des instruments de gynécologie, montrés dès le générique d'ouverture, Beverly part engager un artiste contemporain, pas un laboratoire. L'artiste déclare qu'il trouve les plans très beaux, ces instruments aux formes arrondies, en ovale, avec des crocs doivent servir à opérer les femmes mutantes. C'est que Beverly explique au sculpteur qui s'emparera de ces objets pour en faire des objets d'art, provoquant une colère sourde du médecin qui veut opérer avec.

Il se réfugie dans un monde clos, circonscrit par les murs de l'appartement qu'il ne quitte plus et dans lequel il va attirer Elliot. J'aime beaucoup comment David Cronenberg filme la transformation de ce vaste appartement, d'abord du palier sans ne rien laisser soupçonner (le livreur qui passe), puis de l'intérieur avec un fourbi délirant, un désordre similaire à leur état d'esprit, enfin les deux frères désormais à nouveau raccords déambulent en caleçon à l'intérieur d'eux-mêmes, devenus des mutants inadaptés au monde extérieur qu'ils ne peuvent plus visiter.
























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