vendredi 25 août 2017

120 battements par minute (Robin Campillo, 2017)

Je n'ai pas beaucoup de souvenirs des actions d'Act Up quand elles avaient lieu au début des années 1990, il y a 25 ans période du récit foisonnant de 120 battements par minute. Et je n'ai même pas de souvenirs cinématographiques où l'on parlerait d'Act Up, si ce n'est dans Zero patience dans une séquence où l'association vient fustiger la politique d'un musée et changer l'histoire officielle (celle écrite par les élites) pour l'histoire racontée par les victimes et les activistes. C'est à cela que s'emploie le film de Robin Campillo, transformer le point de vue donnée par la presse ou les politiques de 1991 sur l'association militante : violence, d'actions brutales, de militantisme radical.

Le point de vue sera celui d'une jeune recrue, Nathan (Arnaud Valois) assis au milieu d'un amphithéâtre sans fenêtre, jeune homme à qui il va falloir tout apprendre. Justement une membre d'Act Up explique tout le fonctionnement de la prise de parole, elle commence à expliquer quelle sera la mise en scène des RH, pour réunion hebdomadaire. Comment on demande la parole, comment on ne coupe pas celui qui est en train de s'exprimer, comment on applaudit en claquant des doigts, et surtout, faire court. Les scènes de RH, filmées en mode très documentées, sont ce qu'il y a de plus vif et pénétrant dans 120 battements par minute. La parole étant dite, il s'agit ensuite de mettre en action ce qui a été décidé dans cet amphithéâtre.

Le film commence justement par les coulisses d'un lancer de sang lors d'un colloque sur le Sida. Tapis dans le noir, derrière un rideau, les militants sont prêts à intervenir. La scène est coupée avec celles de présentation des RH. Le film fonctionne chaque fois sur un schéma similaire : débats démocratiques en RH, mise en action (jet de sang dans un labo blanc, manifestations dans la rue ou défilé de gay pride) puis grosse soirée en boîte techno pour décompresser. J'ai eu peur du côté Maïwenn Polisse mais Robin Campillo parvient à désamorcer cet aspect factice avec une longue métaphore sur la poussière de la boîte qui se transforme en cellule du virus vue d'un microscope. Fallait oser le faire, il parvient à évoquer ce danger qui plane avec subtilité.

Robin Campillo ne change pas sa méthode d'introduction par rapport à Eastern boys. Déjà il filmait Olivier Rabourdin observant de loin ce groupe de jeune russes avec lequel il allait passer tout le reste du film (de durée similaire à 120 battements par minute) avant de se focaliser sur une histoire d'amour individuelle. Ces RH permettent ainsi de distinguer parmi la foule quelques personnages, il vaudrait mieux parler de silhouettes animées, que le cinéaste choisit de ne faire exister qu'au travers de leur parole et discours. Leur inexistence n'est qu'un moyen de créer quelques motifs narratifs (les disputes entre eux, la mort de l'un d'eux) et de s'axer sur une romance entre Nathan et Sean (Nahuel Perez Biscayart), sous le regard de Thibault (Antoine Reinhartz) qui tente aussi de séduire Nathan.

La rivalité entre Thibault et Sean est très vite passée à l'as. Dommage. Pour se concentrer sur l'histoire d'amour, profonde, pure et réciproque entre Sean et Nathan. Mais c'est un parcours du combattant qui s'offre à eux, la figure de Sean est dédiée au martyr qu'il va vivre, une victime expiatoire du Sida. Filmer la mort au travail est l'une des prérogatives du cinéma, prendre un acteur, faire croire qu'il est malade, qu'il va mourir d'ici la fin du film, c'est fatal, demande du tact, du génie, mais Robin Campillo filme les taches, les regards lourds, la solitude en gros plan, appuyant là où ça fait mal, remuant le couteau dans la plaie. Cette douleur doit créer chez le spectateur de l'émotion, coûte que coûte, il faut absolument y croire. Je suis resté relativement rétif à cette émotion.


Il s'agit pour Robin Campillo d'écrire l'histoire des premiers malades du Sida, de l'incurie de l'état, de l'absence de morale des firmes pharmaceutiques. Impossible de lui reprocher de ne pas donner la parole à l'adversaire, le film n'est pas un débat contradictoire (heureusement d'ailleurs, laissons ça aux films de procès hollywoodiens), mais le film a du mal à se départir d'un certain « catéchisme », comme dans la grande scène finale avec tous les personnages secondaires d'Act Up qui entrent dans la chambre de Sean, une chambre aux lumières presque éteinte, ils viennent entourer Sean et Nathan dans une forme de pietà particulièrement doloriste. Le sujet exige sans aucun doute cela et a valu au film un Grand Prix au Festival de Cannes, une presse élogieuse et un succès public.

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