mardi 17 avril 2018

A bout de souffle (Jean-Luc Godard, 1959)

Le générique des films de Jean-Luc Godard n'a jamais été son beau souci sauf pour en jouer (Une femme est une femme, Détective). A bout de souffle se contente d'un carton. Je me suis toujours demandé s'il avait donné ce titre pour son premier long-métrage pour en tête des encyclopédies de cinéma (j'ai vérifié, ça marche). Ce qui est à bout de souffle c'est le cinéma français pour le jeune cinéaste et encore plus pour ses confrères des Cahiers du cinéma (Godard a peu écrit sur le cinéma français), cible Les Tricheurs de Marcel Carné comme incarnation de la jeunesse.

Le renouveau, la jeunesse est toute dans Jean-Paul Belmondo avec un ouverture du film qui scandalisa les défenseurs du si poli film de Marcel Carné. Michel Poiccard, le personnage de Belmondo, est grossier. Au volant de la voiture qu'il vient de voler sur le port de Marseille, il traite les autres conducteurs de cons, il sort quelques « merde » et, regardant la caméra dit aux spectateurs qu'il prend à témoin son légendaire « si vous n'aimez pas la mer, si vous n'aimez pas la montagne, si vous n'aimez pas la ville, allez-vous faire foutre ».

Belmondo avait quelques années de moins que Godard, ils avaient déjà tourné ensemble. Dans A bout de souffle, Poiccard aime par dessus tout Humphrey Bogart dont il imite le geste, passer son pouce sur ses lèvres. Il fume clope sur clope, allumant une nouvelle avec son précédent mégot. Il porte des lunettes noires et une cravate. Jean-Luc Godard cherche à tout prix à faire un polar et se retrouve à tourner un documentaire sur Paris en août 1959. Poiccard passe d'une rue à l'autre, en voiture, à pied, en courant. Le film est l'un des plus impressionnant regard sur Paris.

Poiccard traverse la ville pour lire des journaux, ils sont en abondance dans A bout de souffle. Il cherche surtout à acheter France Soir qui édite régulièrement de nouvelles éditions, il veut savoir où avance la police dans l'enquête sur le meurtre que Poiccard a commis en début de film. Le Figaro servira à essuyer ses chaussures. Les femmes qu'il croise lisent autres choses, Elle ou Life. Dans la rue, une jeune fille vend les Cahiers du cinéma « vous n'avez rien contre la jeunesse ? ». Michel Poiccard réplique qu'il n'aime que les vieux.

« On dit je me le rappelle ou je m'en souviens » Michel corrige la jeune Patricia (Jean Seberg), une pigiste du New York Herald Tribune. Vêtue d'un petit pantalon, cheveux courts, vraie garçonne, elle vend à la volée son journal sur les Champs Elysées. Michael lui fait du gringue pas possible, le lourdaud par excellence. Avec son petit sourire, elle se laisse draguer, il n'en finit pas de parler, la flatte sur sa beauté tout en la traiter régulièrement d'idiote. Il veut coucher avec elle tout en se vantant d'avoir séduit d'autres filles depuis la dernière fois qu'ils se sont vus.

Cette comédie amoureuse est l'axe du film avec comme paroxysme cette séquence d'une vingtaine de minutes dans la petite chambre d'hôtel de Patricia. Toute l'action s'interrompt pour accélérer le double jeu de séduction. Il s'est incrusté dans sa chambre pour dormir, elle débarque au petit matin et le trouve en caleçon dans son lit. Cette bataille de langage, ces argumentations à n'en plus finir sont concrétisées dans ce montage par à-coups où Godard ne se soucie de la continuité des raccords. Poiccard applique son instabilité au montage.

Le film policier est relancé avec l'arrivée de deux policiers (Daniel Boulanger joue le commissaire). Jean-Luc Godard joue un délateur (« le plus gros des défauts, c'est la lâcheté » dit Poiccard), il remarque la photo de Michel dans un journal et va le dénoncer à la police. Poiccard continue de voler des voitures, des américaines forcément pas des Citroën, et embarque Patricia avec lui qui reste innocente à toute cette histoire, elle poursuit son boulot, va interviewer Parvulesco (Jean-Pierre Melville) sur le tarmac de l'aéroport d'Orly.


Les deux récits continuent de se frotter, de se malaxer avec encore des heurts de langage. Patricia ne comprend plus vraiment ce qu'elle vient faire dans cette histoire, elle pose des questions d'enfant jusqu'à son « qu'est-ce que c'est dégueulasse ? », Poiccard poursuit inlassablement la recherche d'un homme qui doit lui donner de l'argent, il en parle tout le film, le cherchant en vain dans tout Paris pour finalement le trouver avant que l'étau fatal ne se resserre sur lui. Il finit comme il a commencé, avec ses trois grimaces, abattu dans le dos, n'en finissant pas de s’effondrer sur le bitume dans un dernier sursaut de fanfaronnade. Patricia reproduit le geste de son pouce sur ses lèvres.


































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