lundi 19 février 2018

L'Impératrice rouge (Josef von Sternberg, 1934)

A sept ans, la princesse Sophie-Frédérique de Prusse veut être danseuse, rêve de petite fille que sa mère va s'empresser de briser. Dans son lit, l'enfant est malade, un médecin la soigne, tout le monde est à son chevet, son papa fume la pipe, la maman vient immédiatement le gronder et demande aux servantes d'enlever les poupées jonchées sur le lit. A sept ans, il faut déjà préparer le mariage, si possible royal avec Sophie-Frédérique, elle a passé l'âge de jouer.

Cette mère est un peu le bourreau de l'enfant, alors la fillette veut elle aussi devenir bourreau, bien qu'elle ne sache pas ce que cela veut dire. On lui raconte en détail et à l'image les détails des tortures des gens de pouvoir sont illustrées, tel un livre d'images dont Josef von Sternberg tournerait les sinistres pages. Une pauvre femme dans un sarcophage, des décapitations, des femmes brûlées vives, un pendant de cloche remplacé par un autre hère.

La lettre tant attendue arrive enfin. Le roi de Prusse a arrangé un superbe mariage pour Sophie-Frédérique qui a désormais 17 ans et qui est jouée par Marlene Dietrich qui s'amuse à faire l'enfant, avec ce léger regard aux yeux écarquillés. Elle embrasse les mains de toutes ses tantes et de ses parents dans l'attente de la bonne nouvelle. Elle devra épouser l'héritier de la « Divine Russie », le grand-duc Pierre. Sophie-Frédérique va quitter ses jeux de jeune femme pour la Russie.

Elle sera escortée par le troublant comte Alexei (John Lodge), géant au regard ténébreux qui vient apporter des cadeaux à la famille, dont un manteau de zibeline à Sophie-Frédérique. Alexei décrit la beauté, l'intelligence et la force du grand-duc, la jeune femme palpite d'émotion à ce portrait flatteur qui n'est autre que celui du comte Alexei. Le regard de ce dernier ne dupe personne sauf Sophie-Frédérique, il s'imagine déjà dans les bras de la princesse de Prusse.

La voyage de la Prusse à Moscou est rude (même si le tsar résidait à Saint-Pétersbourg à cette époque), il se fait en carrosse, à travers les plaines enneigées. Maman accompagne Sophie-Frédérique, maman se plaint des auberges modestes, maman se plaint du froid, maman se plaint de la rudesse du comte Alexei. L'arrivée au palais se fait enfin et cela commence par une présentation à l'impératrice Elisabeth Petrovna (Louise Dresser) qui accueille la princesse avec empressement.

De la demeure simple au palais impérial, Josef von Sternberg change d'échelle. Le trône de l'impératrice est monumental, un immense aigle surplombe la souveraine dodue, on découvre à sa droite le prince consort sur un petit fauteuil. Les décors n'ont jamais eu une aussi grande importance que dans L'Impératrice rouge, leur démesure décrit la folie qui règne dans cette cour, la dégénérescence de cette dynastie. Sophie-Frédérique se sent minuscule dans ce palais.

Pour passer d'une pièce à l'autre, il faut pousser d'immenses et lourdes portes au loquet imposants (ils s'y mettent à plusieurs), le festin des noces est une débauche de plats (le peuple meurt de faim) mais ce qui est le plus impressionnant ce sont les innombrables statues grises (Saints et ancêtres), aux formes cadavériques, d'une maigreur effrayante, comme si elles avaient été torturées par un bourreau, revenant ainsi à l'enfance de la princesse.

Sophie-Frédérique ne quittera jamais ce palais et va abandonner son prénom et devenir Catherine en épousant ce grand-duc qu'elle découvre enfin. Pierre (Sam Jaffe) n'est pas dissemblable de ces statues, un grand maigre à moitié idiot, à moitié enfant qui ne se sépare jamais des ses jouets, des marionnettes de soldats que ramasse la comtesse Lizzie (Ruthelma Stevens), assignée à cette ingrate tâche. Il est loin de l'image décrite par le comte Alexei.

Le mariage est l'une des plus belles scènes de L'Impératrice rouge. Derrière son voile blanc virginal, tenant une bougie, Catherine observe bouche bée les béatifications. Plutôt que d'alterner avec des gros plans du grand-duc Pierre, Josef von Sternberg filme le comte Alexei, comme s'il était lui-même l'époux avant de finir avec une embrassade des deux mariés, créant un sentiment d'horreur chez la princesse prise au piège. Il rappelle ainsi la première rencontre avec Sophie-Frédérique.

Une fois mariée, Catherine sera traitée comme une moins que rien par l'impératrice. Le portrait de cette dernière n'est pas flatteur. C'est une femme d'une vulgarité sans nom, aussi éloignée que possible des apparats du protocole, elle se plaira à humilier Catherine en l'obligeant à servir la soupe aux laquais, en renvoyant sa mère dans sa Prusse natale sans qu'elle puisse lui dire adieu et en rouspétant de l'absence de petit-fils pour donner un héritier à la couronne.


L'humiliation suprême arrive quand Catherine comprend que le comte Alexei est aussi l'amant de l'impératrice. Si Catherine devient cette impératrice rouge que promet le titre, c'est dans sa vengeance. Elle couche avec un capitaine de l'armée pour donner cet héritier tant attendu et fera en sorte de se débarrasser de ce grand-duc dégénéré, accomplissant son destin de bourreau dans un manteau blanc, passage ironique et paradoxal d'un retour de virginité.





























Aucun commentaire: