vendredi 23 février 2018

Fièvre sur Anatahan (Josef von Sternberg, 1953)

Fièvre sur Anatahan, le dernier film de Josef von Sternberg (Jet Pilot produit avant est sorti après celui-ci), est entièrement tourné au Japon où le cinéaste s’était installé en exil culturel. C’est un Japon de carton-pâte une habitude chez le cinéaste qui aime créer la réalité, où l’îlot d’Anatahan est reconstitué en studio, de loin on voit son sommet peint, comme cela se faisait à l’époque. Le décor consiste à reproduire une sorte de savane luxuriante où les lianes et les plantes poussent en abondance.

L’île minuscule et montagneuse entre le Japon et la Nouvelle-Guinée recueille une douzaine de soldats japonais à la dérive qui se sont réfugiés là en juin 1944. Personne n’habite là, pensent-ils, mais au bout de quelques jours d’exploration, ils rencontrent un homme. Ce dernier, Kusakabe (Tadashi Suganuma) vit avec Kieko (Akemi Negishi). Chacun a été marié, leur famille est retournée au Japon, fuyant les ravages de la guerre et la solitude inhérente à la vie sur Anatahan. Ils paraissent mariés, elle est plus jeune que lui. Il la protège avec excès, refusant qu’elle s’adresse aux intrus. Pour les soldats, voir une femme, surtout si jeune, est une chose très réjouissante.

Les soldats sont jeunes et vigoureux mais dirigés d’une main de maître par leur supérieur qui décide de rester sur le qui-vive, de poursuivre la surveillance de l’île pour veiller à ce que l’ennemi militaire ne vienne pas attaquer. Chaque soldat exécute un tour de garde, va observer l’océan au sommet de l’île où une mitraillette a été ramenée pour se défendre. Plus tard, un avion échoué permettra de faire de la toile d’un parachute de nouveaux vêtements (société en progrès) alors que la découverte de deux pistolets fera changer de chef (société en régression).

Comme dans la plupart de ses films, la femme fatale est au centre du récit de Fièvre sur Anatahan. Cette fièvre, c’est elle qui la provoque dans le cœur des soldats. Jusqu’à présent, son seul loisir était de ramasser des coquillages, puis elle accepte de devenir le centre de l’attention des hommes, de se laisser séduire. C’est le plus jeune qui s’y colle, vite délogé et frappé par Kusakabe. Kieko recevra quelques coups pour sa témérité. Et les années passent, les haillons remplacent les uniformes militaires.

Les corps sont de plus en plus nus, les hommes (à l’exception du chef) vivent torse nu. L’alcool fabriqué à partir de palme leur mettra un peu de baume au cœur, mais déchaînera leur passion. Le désir se fait de plus en plus grand, Kieko – la reine des abeilles comme le dit le générique – se laisse de plus en plus tenter. Les années passent et le chef ne baisse pas la garde, refusant d’écouter le haut-parleur d’un croiseur qui affirme que la guerre est achevée. Il veut continuer de défendre l’île. Cela durera six ans.

Fièvre sur Anatahan est à la fois naïf et cruel. La naïveté n’est jamais éloignée avec cette voix off constante qui commente la société japonaise à grands coups de phrases péremptoires. « Les soldats doivent obéissance à leur chef », « les femmes sont soumises à leur mari », comme si le cinéaste désirait décrire une civilisation différente qui, isolée, se créerait une utopie autour de la femme. Aucun des dialogues que les interprètes japonais dans leur langue natale n’expriment ne sont traduits ou sous-titrés.


La voix off, à la première personne, narre ce qu’ils font, leur action dans une évidente et parfois agaçante redondance. Le film prend parfois des aspects anthropologiques basiques. Le film s’adresse clairement aux Américains qui, ironiquement, ne verront jamais ce film resté dans les armoires pendant des années. Le film est aussi cruel avec le sort réservé à l’unique femme de l’île qui passe du statut de reine des abeilles à celui d’objet que les hommes s’échangent sans son consentement. Le constat la nature humaine est d’une grande tristesse. Il convient qu’aucune société ne peut échapper à ses plus bas instincts : le pouvoir sur l’autre, la domination et la haine.



















Aucun commentaire: