mercredi 28 février 2018

J'ai aussi regardé ces films en février


L'Apparition (Xavier Giannoli, 2017)
La bonne surprise que représente L'Apparition est d'autant plus grande que Marguerite, le précédent film de Xavier Giannoli était bancal et souvent raté, et que je garde une terrible souvenir de Rodin où Vincent Lindon était incompréhensible. Là, le mixage son de sa voix est meilleur. Comme d'habitude le cinéaste traite le thème de l'usurpation d'identité (la jeune Anna a-t-elle vraiment vu la vierge ?), le journaliste qu'est Vincent Lindon enquête minutieusement, trop selon les autres enquêteurs dont Elina Lövinsohn dans un rôle totalement opposé à celui des Garçons sauvages). L'Apparition est l'inverse absolu des films de Ron Howard adaptés de Dan Brown, pour parler de sujets vaguement proches. Le récit est très foisonnant et cela aurait pu donner une splendide série télévisuelle, sur Arte par exemple, tant le nombre de personnages divers est grand, mais tous superbement incarnés. Pour une fois, j'aurais voulu que le film dure plus longtemps.

Black Panther (Ryan Coogler, 2017)
Rien ne différencie vraiment le rythme de ce nouveau Marvel des précédents Avengers, c'est d'un ennui mortel : les rares scènes d'action sont d'une lenteur invraisemblable, notamment la course-poursuite en Corée, tout est horriblement mal écrit (tous les gags tombent à plat), visuellement douteux (le vaisseau futuriste du roi semble voler comme en 1998) et politiquement indigeste. Car le sujet principal de Black Panther est la lutte du pouvoir entre deux cousins, l'un est le roi d'un pays imaginaire d'Afrique (comme au bon vieux temps des Tarzan, alors que les autres nations sont bien réelles, Corée, Angleterre et USA), l'autre est un gamin pauvre de Californie, oublié de sa famille, renié et renégat. Ils vont se faire la guerre pour le trône. Certains personnages (le soldat qu'incarne Danai Gurira) sont ancrés dans un déterminisme hiérarchique inquiétant « je suis loyale à ce trône, peu importe qui soit assis dessus » dit-elle, peu importe en effet que Michael B. Jordan, le prétendant au trône soit un tyran en puissance, l'important est que les coutumes ancestrales soient appliquées. C'est d'une naïveté confondante d'autant que ce pays est censé être le plus développé de toute l'Afrique, mais en secret. La plupart des acteurs sont hollywoodiens (ou britanniques : Andy Serkis, mauvais comme c'est pas possible, Martin Freeman mais qui joue un Américain et Daniel Kalluya l'excellent premier rôle de Get out) mais parlent avec un accent prétendument africain, c'est très étrange, on pourrait presque parler d'African-washing.

Moi, Tonya (Craig Gillepsie, 2017)
Le film a beau s'appeler Moi, Tonya, promettant un portrait à la première personne, c'est une variété d'opinions qui défile, face à la caméra comme dans un documentaire, façon reportage télé cadré en 4/3 dans ces courts entretiens. Ce sont cinq subjectivités qui s'affrontent, Tonya Harding (Margot Robbie), sa mère LaVona (Allison Janney), son mari Jeff (Sebastian Stan), Shawn le meilleur ami de ce dernier (Paul Walter Hauser) et sa coach Diane (Julianne Nicholson). C'est le bal des faux-culs pour dresser le portrait de Tonya de sa petite enfance, elle commence le patinage à 3 ans forcée par une mère autoritaire, une vraie marâtre, jusqu'au fait-divers scabreux contre Nancy Kerrigan. Jeff est un mari violent, LaVona est une mère brutale, Shawn un mythomane qui se prend pour un espion et Diane à côté de ses pompes. La force du film est de raconter ce sinistre destin d'une plouc qui veut faire un sport de la haute société comme un vaudeville.

mardi 27 février 2018

Les Garçons sauvages (Bertrand Mandico, 2017)


L'idéal serait d'aller voir Les Garçons sauvages sans avoir vu la moindre image, sans regarder la bande annonce, sans lire de critiques et encore moins d'entretiens avec Bertrand Mandico, comme je l'ai fait juste avant Noël, une découverte du film dans un état de candeur virginale. Le titre apparaît, des lettres déchirées, dans ce cadre aux coins arrondis, et la nuit, le noir et blanc, enveloppe le corps d'un adolescent au bord d'une plage remplie de branches, d'arbres morts, s'approchant de lui quelques marins qui commencent à lui enlever ses vêtements.

Une grande partie du film se déroule avant cette scène mystérieuse, il faut rembobiner le récit et arriver aux cinq jeunes hommes en costume cravate. Si comme moi, on débarque sans rien savoir, on ignore que les cinq adolescents bien propres sur eux, de bonne famille comme on dit dans les articles sur les faits divers, sont joués par des actrices. La surprise était pour moi de taille, je ne suis pas parvenu à reconnaître Vimala Pons en garçon avec ce regard narquois et insolent d'un jeune mec qui dirige sa petite troupe de sauvageons. Mais maintenant tout le monde sait que ce sont des actrices.

Bertrand Mandico balance du noir et blanc à la couleur dans quelques séquences à la sexualité sauvage. La première est en début de film autour d'une femme (Nathalie Richard) qui va se faire violer par les garçons, elle finit sur le dos d'un cheval. La deuxième est une orgie nocturne en bord de plage. On entend la chanson de Nina Hagen « Naturträne ». L'image est bleue, des milliers de plumes blanches volent autour d'eux. Ils se déshabillent, s'embrassent férocement, se molestent, s'aiment violemment. C'est pour moi le plus beau moment du film.

Entre ces deux magnifiques séquences, les garçons sauvages sont bannis, une punition qui fait suite au viol. Ils se croyaient à l'abri de par leur condition sociale mais les parents choisissent de les confier à un marin rugueux et barbu à l'accent étranger (Sam Louwyck). Le capitaine de ce rafiot les traite comme des chiens, collier au cou et corde attachée à un système de poulie. Chaque fois que l'un d'eux n'agit pas selon ses règles, il tire la corde qui les étrangle et les ramène brutalement juste devant la cabine du capitaine. Et ils commencent à aimer ça.

L'artisanat avec lequel le cinéaste figure son bateau, une barque au milieu de l'océan, ne dissimule pas l'aspect carton-pâte des décors, il en joue au contraire, comme des enfants jouent aux pirates. La bicoque tangue, de l'eau asperge les adolescents, des effets naturels (pour les opposer à spéciaux) qui embarquent Les Garçons sauvages vers toute une flopée de références cinéphiles et cinématographiques que Bertrand Mandico se fait un plaisir de nommer dans ses différents entretiens. Pourtant, le film n'appartient qu'à lui-même avec un univers propre.

La destination de la traversée est une île (qui n'est pas sans évoquer celle de Fièvre sur Anatahan entre autres) pourvue de plantes particulières. Le grand mouvement du film s'amorce pour traiter le genre sexuel, la transformation de ces adolescents en jeunes femmes. La sensualité avec laquelle ils dévorent des fruits poilus, ils boivent un liquide blanc sorti d'un orifice phallique, est exhaussée par l'arrivée du docteur Séverine (Elina Löwensohn), parangon de l’ambiguïté sexuelle, mi-homme mi-femme dans une posture à la Marlene Dietrich.

Difficile de ne pas sortir rassasié de ce film et, il faut bien le dire assez fourbu. Les Garçons sauvages n'est pas sans quelques longueurs et répétitions, notamment au milieu de son récit sur l'île qui révèle les jeunes garçons à eux-mêmes. Il n'en demeure pas moins que le geste cinématographique est sans aucune mesure dans le cinéma d'aujourd'hui (presque) entièrement concentré sur des tentatives de représenter la réalité telle qu'on l'imagine alors que pour la faire exister, il suffit parfois de masturber la machine à fantasmes de sa cinéphilie et d'en jouir.

lundi 26 février 2018

Le Fils du désert (John Ford, 1948)

« Welcome to Welcome », Welcome est le nom du patelin où débarque le trio de braqueurs de banque. William dit le Kid (Harry carrey Jr, le film est dédié à son père) est le plus jeune, Pedro dit Pete (Pedro Armendariz) et Bob (John Wayne) le chef. Ils viennent de traverser la plaine pour cette endroit de l'Arizona et Bob a décidé qu'ils vont attaquer la banque. Avant la ville s'appelait Tarentule, un nom moins accueillant que Welcome.

Ils font une halte devant une maison coquette, sur la boîte aux lettres, Bob se moque du nom du propriétaire « B. Sweet », sois doux. Cela va très bien avec Welcome. Le propriétaire, Buck Sweet (Ward Bond) dépasse la tête de la barrière, il coupait les arbustes. Il souhaite la bienvenue à ces trois horsains et son épouse apostrophe son mari en l'appelant Perley, ce qui fait encore plus rire Bob et ses comparses.

On leur offre une bonne tasse de café, on cause gentiment, on se sourit aimablement quand Buck Sweet revêt sa veste où l'on découvre l'étoile de shérif. Le sourire de Bob et Pete se fige quelque peu et Buck a bien compris qu'ils ne sont pas là par courtoisie. La force du Fils du désert, dès cette magnifique scène d'ouverture menée tambour battant, est de montrer que Buck et Bob sont le revers de la même médaille, deux hommes miroir.

Le braquage ne se déroule pas bien, le Kid est blessé à l'épaule par le shérif qui a vite réagi, c'est la fuite dans le désert à cheval. John Ford magnifie les dunes balayées par le vent, dans ce superbe technicolor, le sable du désert prend les apparences d'une mer déchaînée où le trio paraît perdu au milieu de ces vagues de sable hostile, de cette nature peu accueillante, contrairement à Welcome. Ils sont des naufragés.

Sweet engage des adjoints et décide de poursuivre les braqueurs. Il était parvenu à percer leur gourde, il en conclue qu'ils devront forcément faire une halte à une réserve d'eau. Sweet et ses hommes grimpent dans le train (le cheminot les brusque un peu, il regrette les 8 heures de retard de son train, Le Fils du désert regorge de cet humour pince-sans-rire absolument délicieux) avec des mulets et chevaux pour attraper les fugitifs.

Ce sont deux trajets, deux traversées du désert qui entrent en jeu. La recherche d'eau pour Bob et ses comparses, il faut soigner le Kid qui saigne et se déshydrate. Buck Sweet de son côté poste ses hommes à chaque gare pour que Bob, Pete et Kid ne se servent pas d'eau. Le trio brouille les pistes en modifiant leur itinéraire initial, ce que Sweet mettra un peu de temps à comprendre (et le train a maintenant 15h29 de retard se lamente le cheminot).

C'est en changeant d'itinéraire après avoir longuement marcher qu'ils découvrent ce chariot apparemment abandonné. John Ford en profite pour expérimenter un flash-back sur ce qui est advenu à cet endroit. John Wayne, assis, plan fixe sur lui, raconte ce qui a pu se passer, avec une économie de mots, sans images, le spectateur imagine parfaitement que le conducteur du chariot a dynamité le puits, qu'il est parti et que sa femme est à l'agonie.

Triste destin de ces voyageurs qui devaient se rendre à Welcome (Buck et sa femme les attendaient) pour célébrer Noël. La femme à l'agonie est enceinte, c'est Pete qui va l'aider à accoucher de son fils et le trio, tels les Rois mages, sont désormais les parrains de cet enfant. Ils décident de lui donner leurs trois prénoms Robert William Pedro, chacun oubliant de donner le citer ceux des deux autres comparses.

Comment trois célibataires endurcis vont apprendre à s'occuper d'un bébé ? Par chance, la maman avait préparé un coffre plein de vêtements, de lait concentré et pourvu d'un livre qu'ils vont consulter. C'est l'un des plus beaux passages du Fils du désert, ce calme où ils apprennent à devenir parents, ou parrains, avec candeur, non sans chamaillerie et railleries. Voir John Wayne donner le biberon avec tendresse, c'est sublime.


On l'aura compris, le film affûte la parabole sur la Nativité, l'étoile du berger et les Rois Mages sont là. Dans la roulotte, il traîne aussi une Bible dont le Kid va lire des extraits. John Wayne joue celui qui ne croit pas en Dieu mais va se convertir grâce à une ânesse et son petit (il faut croire pour être sauvé de la soif). Passé ce passage religieux, le finale après l'arrestation de Bob est d'une grande force, tout en délicatesse et humour.


























dimanche 25 février 2018

Thriller (John Landis, 1983)

Avant les clips faisaient la durée de la chanson. Trois 45 tours étaient sortis avant la chanson Thriller, avec des clips classiques mais le succès de l'album Thriller sorti en novembre 1982 est si important qu'un court métrage est tourné pour le clip Thriller. John Landis est choisi pour mettre en scène Michael Jackson. Le clip de Thriller dure 14 minutes, la chanson un peu moins de 6 minutes, au scénario le chanteur est crédité avec John Landis. La chanson a été composée par Rod Temperton et produite par Quincy Jones.

Pleine lune, comme dans Le Loup-garou de Londres, une voiture dans la brume, Michael Jackson est le conducteur, Ola Ray est sa petite amie. Une panne d'essence, ils s'arrêtent, ils sortent du véhicule, Michael déclare sa flamme et lui offre une bague de fiançailles mais doit confesser une chose : il est un loup-garou et se transforme sous ses yeux. John Landis fragmente cette métamorphose, comme dans son film, filmant chaque membre du corps du chanteur. Jusqu'au résultat final.

Le lycanthrope menace Ola qui est tombée dans l'herbe. Dans le plan suivant, on retrouve le couple assis dans une salle de cinéma (on reconnaît John Landis tout devant, complètement à droite), Michael bouffe du pop-corn l'air réjoui devant ce film d'horreur tandis qu'Ola a très peur et décide de sortir de la salle. Plan en grue de l'extérieur du cinéma où sur l'enseigne est écrit le nom de Vincent Price. Sur la vitrine, deux affiches : Schlock, le premier film de John Landis et House of wax, film avec Vincent Price.

Jusqu'à présent, aucune note de Thriller n'a été entendue. Pour figurer l'angoisse, John Landis utilise la musique d'Elmer Bernstein, compositeur attitré de John Landis, il a fait la musique du Loup-garou de Londres (hormis les chansons avec le titre Moon). Quand Michael et Ola sortent du cinéma et vont se promener, la chanson commence telle une comédie musicale, Michael raconte ainsi avec les paroles de Thriller une nuit d'épouvante pour faire peur à sa petite amie et la taquiner avec des sourires.

Ils passent devant un cimetière lugubre, Vincent Price débute la lecture de son poème tandis que les tombes commencent à s'ouvrir et que les morts vivants en sortent au milieu d'une brume bleutée. Ces morts vivants vont entourer le couple avant que Michael ne se transforme également, y compris sa veste rouge qui est déchiquetée. La célèbre chorégraphie est filmée en longs plans, dans des mouvements d'appareils circulaires et des travellings suivis de gros plans sur les visages décrépis des cadavres.

La première diffusion du clip a lieu sur MTV en décembre 1983 avec une version modifiée de la chanson, bien meilleure que sur l'album. Les deux premiers couplets sont enchaînés sans coupure par le refrain, le pont est supprimé (ce qui était une bonne idée), suit le poème lu par Vincent Price et le refrain est enfin chanté sur la chorégraphie des morts vivants, le rire sardonique de Vincent Price conclue le clip sur un plan fixe de Michael Jackson les yeux jaunes comme le loup-garou qu'il était au début.


Cela m'a toujours étonné de voir Michael Jackson se donner le rôle du mauvais garçon (ses albums suivants seront titrés Bad puis Dangerous), sans doute voulait-il appartenir à la grande famille des rockeurs. Ceci étant, John Landis avait procédé ainsi, non sans ironie pour David dans Le Loup-garou de Londres, un homme insipide qui devient une bête. Toujours avec ironie, le carton final reprend celui du Loup-garou de Londres indiquant que toute similarité avec un mort vivant serait une coïncidence.