lundi 11 décembre 2017

Scarface (Howard Hawks, 1932)


Dans sa biographie sur Howard Hawks, Todd McCarthy explique en larges détails la censure à laquelle le cinéaste et son producteur Howard Hughes ont dû faire face dès la conception de Scarface. Le Républicain conservateur William Hays et le si mal nommé Colonel Joy était à la tête de la fronde pour empêcher coûte que coûte les deux Howard de tourner leur film. Hays, qui n'avait pas encore établi toutes les règles drastiques de son code de censure s'était entendu avec les producteurs hollywoodiens, Warner le premier vexé de voir Hawks lui désobéir et aller vers un autre producteur, pour mettre des bâtons des les roues de Scarface.

Il est aujourd'hui assez amusant de lire les trois cartons qui ouvrent le film, affirmant que le crime organisé subit l'indifférence du gouvernement fédéral. En plus de 80 ans, deux sujets restent les mêmes. Dans une scène, un conseiller du maire demande aux journaux de ne pas parler des gangsters, selon lui, il recevrait une bonne image auprès du public (censure de l'information parce que le public est influençable), puis dans une autre scène, le chef de la police souhaite vivement que le Gouvernement fédéral réglemente la loi sur la possession d'armes automatiques. Oui, rien n'a changé depuis des décennies.

Howard Hawks se lance dans le tournage de Scarface sans attendre le feu vert de Hays et Joy. Pour jouer son balafré nommé Tony Camonte, il choisit l'acteur de théâtre yiddish Paul Muni. Sur sa joue gauche, il a une grosse cicatrice en croix, le symbole constant du film, dès le générique. Dès qu'une mort va se produire, qu'un ennemi va être abattu, Howard Hawks place un X dans le plan. Dans les poutres lors de la purge dite de la Saint-Valentin (on ne verra que les ombres des hommes fusillés), dans le score du strike de Gaffney (Boris Karloff) tué par Tony dans un bowling ou sur le mur de la chambre d'hôtel quand Rinaldo (George Raft) se fait tirer dessus.

De la violence, il n'y en a jamais eu autant que dans Scarface, considérablement plus réaliste que dans les précédents films de gangsters. C'est précisément ce réalisme qui continue de rendre Scarface aussi fascinant. Les scènes d'action, courses-poursuites, coups de mitraillette, accidents de voiture, ont été tournées par Richard Rosson (crédité avec un « co-directed » dans le générique). Et surtout le son pétaradant des coups de feu. Lors de l'affrontement, en milieu de film, entre les différents gangs, celui de Gaffney, celui de Tony et celui de O'Hara pour la mainmise des bars clandestins, les décors explosent au sens propre et les corps s'effondrent sur le bitume devant des réverbères blafards.

Ce que la censure ne pouvait pas prévoir est le jeu de Paul Muni. Malgré sa vilaine cicatrice, il confère à son caïd un haut capital de sympathie. Face aux deux policiers qui lui mènent la guerre, surtout le grand Guarino (Henry Gordon) portant une fine moustache, au visage sévère, Tony est un homme souriant, perclus de petites mimiques (son geste de la main pour saluer) et qui a toujours un bon mot à la bouche. Howard Hawks a rendu sympathique le gangster et l'entoure de deux phénomènes, Rinaldo, peu loquace, jouant avec sa pièce de monnaie et Angelo (Vince Barnett), comique de service, censé être le secrétaire du caïd mais incapable de répondre correctement au téléphone (fameuse scène de mitraillette où il tente de prendre un message sous le bruit des détonations).

Tony Camonte est présenté dans le plan séquence d'ouverture comme un simple homme de main. On ne verra que son ombre mais on l'entend siffler. Il travaille pour Johnny Lovo (Osgood Perkins) au physique presque similaire à celui du flic. Scarface raconte la prise de pouvoir de Tony, il prend la place de son patron, déclarant la guerre aux autres chefs de la pègre, puis sa chute irrémédiable après avoir mené la belle vie. Il existe d'ailleurs deux fins, celle que voulaient Hays et Joy voyait condamner le balafré à la potence, celle de Howard Hawks le voit abattu par la police en sortant de sa résidence où il s'était barricadé. Là encore, il faut relire ce que Todd McCarthy à écrit sur les fins de Scarface, c'est passionnant.

Tony ne sait pas s'habiller chic. La fiancée de son patron, la blonde Poppy (Karen Morley) se moque de ses tenues criardes. Tony admire le peignoir en soie de son patron. Son objectif sera de devenir aussi élégant et de séduire Poppy, sans prendre aucune pincette avec son patron. Dans un cabaret, Lovo et Tony sont assis côte à côte, Poppy est en face, quand elle s'arrête à fumer, les deux hommes proposent du feu, elle choisit l'allumette de Tony. Le caïd a une jeune sœur, la brune Cesca (Ann Dvorak) avec laquelle les rapports sont troubles, il la protège à l'excès et lui interdit de voir des hommes. Plus que les histoires de caïds, ce sont les relations avec ces deux femmes qui occupent la majorité de la mise en scène d'Howard Hawks.





























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