mardi 12 décembre 2017

Pépé le Moko (Julien Duvivier, 1936)

Depuis deux ans, le caïd Pépé le Moko (Jean Gabin), après le fameux casse de Toulon, s'est réfugié dans la casbah d'Alger. Un quartier de labyrinthes, de ruelles étroites et sombres, d'escaliers qui se superposent et se croisent, de population mélangée Français, Siciliens, Algériens, Espagnols, Slaves, Africains et les femmes, de toutes tailles, âges et formes que Julien Duvivier présente dans une séquence quasi documentaire où la casbah est un lieu pittoresque, aux noms de rues bigarrés, le lieu central de Pépé le Moko où son héros est prisonnier. Mais c'est une prison où il fait la loi.

La loi des colons ne s'applique pas là-haut, au sommet de la colline d'Alger. La scène d'ouverture est dans le quartier européen, la police cherche à coincer Pépé le Moko. En vain. Elle a beau élaborer des plans pour pénétrer dans la casbah et arrêter le truand, rien n'y fait. Personne ne veut jamais donner le caïd. Seul l'inspecteur Slimane (Lucas Gridoux), le policier indigène, comme disent ses pairs, sait que la méthode des flics est vouée à l'échec. Lui seul sait comment attraper Pépé, le faire descendre jusqu'à la Place Blanche.

Le film n'expliquera pas comment dans un quartier aussi pauvre, Pépé est parvenu à récolter le butin qu'il fait évaluer par l'un de ses partenaires surnommé Grand-Père (Saturnin Fabre), mais cela permet de présenter ses comparses. Grand-Père a toujours un bon mot à la bouche (merveilleux dialogues d'Henri Jeanson). Carlos (Gabriel Gabrio), le gros costaud est toujours en colère, intéressé uniquement par l'argent. Il a une réplique récurrente qu'il donne à Pépé sur un ton très énervé, avec un bel accent de Titi parisien « de quoi ? ».

Deux autres acolytes sont plus énigmatiques. Jimmy (Gaston Modot), au complet veston, a toujours un bilboquet à la main. Il traîne toujours avec Max (Roger Legris, des décennies plus tard, il sera l'une des gueules préférées de Jean-Pierre Mocky). Max a constamment un sourire idiot et, contrairement à Jimmy, il porte un t-shirt sale sur une vieille blouse. Tous deux sont le jour et la nuit mais ont un point commun : ils ne diront pas un seul mot de tout le film, l'inverse de Grand-Père et Carlos qui l'ouvrent à tout bout de champ. Ils sont un hommage aux comparses de Scarface.

Les présentations faites, le lieu décrit et l'ambiance posée, il s'agit de faire démarrer le récit. Julien Duvivier applique de manière implacable un scénario où se mêlent l'amour pour les femmes et l'amitié entre les hommes. Pépé a une affection particulière pour Pierrot (Gilbert-Gil), le jeunot de la bande. Il veut en montrer à son mentor qui, en retour, le protège contre son impulsivité. C'est par Pierrot que tout démarre, partagé entre son amourette avec une Algérienne et l'espoir de revoir sa maman.

C'est sur ce dernier ressort que le drame arrive dans Pépé le Moko. L'un des indics de la police, Régis (Charpin), habillé en Algérien et coiffé d'un fez, annonce aux autorités qu'il a un plan secret pour faire descendre Pépé en ville. Manipuler Pierrot, lui faire croire que sa maman est dans le quartier européen. La trahison de Régis suivie de sa mort est l'un des meilleurs moments de Pépé le Moko. Transpirant comme un bœuf, acculé dans un coin, il déclenche un piano automate dont la musique entraînante et tonitruante masque les coups de feu qu'il reçoit.

Pépé le Moko est dévasté par la mort de Pierrot. Sa maîtresse, depuis son arrivée à la casbah, Inès (Line Noro), une gitane au large sourire ne peut le consoler. C'est surtout qu'il a rencontré Gaby (Mireille Balin), femme mondaine en visite dans la colonie. Cette Parisienne fait la touriste dans le quartier au moment même où la police faisait sa descente, prise dans les coups de feu échangés entre les officiers et les truands. Elle sera opportunément sauvée par Slimane qui l'amènera dans un café que fréquentent Pépé et sa bande.

La première rencontre est entièrement un jeu de regards entre eux. Pépé repère d'abord ses bijoux, des bracelets sertis de diamants, un collier de perle. Julien Duvivier filme en plans larges, en champ contrechamp, puis approche sa caméra avec des inserts sur les bijoux, filme enfin en gros plans, de plus en plus rapprochés les visages puis les yeux de Gaby et Pépé, le tout sous l'observation attentive de Slimane et d'Inès. Tous deux comprennent immédiatement ce qui se passe, le coup de foudre qui opère.

Le destin va alors s'acharner sur le couple. Inès est folle de jalousie mais Slimane voit l'occasion de tendre un piège à Pépé le Moko. Les rapports entre les deux hommes sont les plus passionnants du film. Ils sont un mélange de grande complicité et de défi réciproque. Pépé est tactile avec Slimane, ils se tournent autour, ils se complimentent sur leur valeur respective, chacun pensant être plus malin que l'autre. Seulement voilà, Slimane connaît parfaitement la faiblesse de Pépé : les femmes. Slimane va utiliser Inès et Gaby pour accomplir son dessein.

Ce destin, cette fatalité qui s'abattent sur Pépé le Moko va provoquer des sentiments contrastés, le faire passer de la joie absolue quand il chante à tue-tête sur la terrasse, quand il descend sur la Place Blanche dans une scène en transparence à la profonde déprime illustrée par Fréhel qui chante sa propre chanson en écoutant un gramophone, son appel désespéré à Gaby sur le port d'Alger couvert par la sirène du bateau. Pépé le Moko est l'un des plus beaux films de Julien Duvivier et par conséquence de Jean Gabin.




























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