lundi 18 décembre 2017

L'Ange bleu (Josef von Sternberg, 1930)

De mains en mains, les lycéens se passent des photos, une fois devant leurs yeux ébahis, ils se mettent à souffler sur l’image soulevant des duvets qui laissent apparaître les dessous du modèle. Dans ce lycée où les élèves de bonne famille portent un uniforme, costume cravate ou nœud papillon, trois jeunes hommes ont chacun une de ces photos. Ils en font profiter, non sans morgue, à leurs camarades, seul le chouchou du prof, le fayot de service, l'élève Angst (ce qui veut dire peur en allemand), préfère effacer le tableau noir. Un des cancres commence à dessiner sur le cahier du professeur Immanuel Rath, une caricature et il ajoute UN devant le nom de l’enseignant transformant le sens de son nom (Unrat = saleté)

Ce matin-là, la routine du professeur Rath (Emil Jannings) se déroule comme tous les jours. Célibataire, il prend son petit déjeuner dans sa pension de famille, apportée par la petite bonne. Puis il se rend au lycée, fier comme Artaban, traverse le couloir, salue ses collègues, ouvre la porte. Les élèves se lèvent, il leur donne l'ordre de s’asseoir. Rath se met derrière son bureau, sort son mouchoir, se mouche bruyamment, le remet dans sa poche. Enfin, il prend son cahier et découvre le dessin et le mot sur la couverture, le tout sous le regard angoissé du jeune Angst que le professeur semble tenir pour responsable de cet affront. Les autres élèves se lancent des œillades complices ravis de leur bon coup. Pour la première fois, l’autorité du professeur Rath est ébranlée.

Ce rituel immuable va être répété trois fois, la première moitié de L’Ange bleu se déroule sur trois jours. Chaque fois, un élément perturbateur va affecter cette routine quotidienne de ce respecté professeur de littérature, au moins par ses pairs. Le premier jour, tandis qu'il prend son petit déjeuner, il veut donner un morceau de sucre à son oiseau. Mais l'oiseau est mort. La bonne, pas plus émue que ça, prend le volatile et le jette dans le fourneau. C'est le premier signe d'un dérèglement de sa vie, puis la découverte des photos des lycéens va bouleverser son train-train. Il s'en saisit par hasard, parce que les « mauvais garçons » du lycée font trébucher Angst. Rath croit que les images lui appartiennent et les confisque.

Il est évidemment outré par les photos de Lola Lola que le spectateur découvre pour la première fois. Lola Lola (Marlene Dietrich) est une vedette du cabaret nommé l'Ange Bleu où le professeur va se rendre pour confondre les garnements. Marlene Dietrich en 1929 n'était pas encore comme elle le sera dans les films suivants de Josef von Sternberg, notamment dans Vénus blonde, à peine trois ans plus tard, au sujet relativement similaire. Dans L'Ange bleu, le corps girond de l'actrice a encore un peu de mal à se déplacer sur la scène du music-hall, mais le regard est déjà là, c'est ce que filme le cinéaste, elle est debout sur scène devant les autres entraîneuses affalées sur les fauteuils, cigarette aux lèvres.

Lola Lola chante comme le petit oiseau en cage qu'avait le professeur Rath. La scène du cabaret est un bazar visuel, un bric-à-brac de cartons pâtes, de bouts de décors rapiécés dans lesquels le volumineux enseignant va se perdre, corps et âme. Le deuxième jour, il revient à la charge pour voir Mademoiselle Lola Lola qui l'avait si bien reçu la veille, entre deux portes où le brouhaha de la salle et les chansons faciles et coquines envahissent la bande-son, comme les bulles de Champagne envahissent le cerveau de Rath qui n'a jamais rien vu ni vécu de tel. Résultat, il est trop ivre pour rentrer dans sa petite chambre de pension et le lendemain matin se retrouve en haut de l'escalier en colimaçon, dans la chambre de Lola.


La deuxième moitié de L'Ange bleu se lance sur un effeuillage de calendrier, passant de 1925 à 1929, du renvoi du lycée au mariage cocasse où il est le dindon de la farce, se prenant pour le coq de la basse-cour, puisqu'il se croit plus intelligent, allant jusqu'à faire un cocorico, l'un des rares moments où Emil Jannings semble se débarrasser de son jeu très théâtral et emphatique. Ce cri de volatile sera la marque de fabrique de Rath quand il intègre la troupe et part dans toute l'Allemagne pour suivre sa bien aimée. Jusqu'au retour dans la ville où il enseignait, un retour où il doit faire son numéro de clown et se fait doublement humilier avant de tomber dans la folie et de tenter, en allant dans sa salle de classe, de revenir à sa vieille routine quotidienne.



























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