mardi 26 décembre 2017

Carrie (Brian De Palma, 1976) 2/2


Dix minutes (entre la 67e et la 77e minute), telle est la durée de la scène du bal de promo du lycée où Carrie est élève. Le bal de promo est une tradition du teen-movie, le passage vers l'âge adulte et ce passage Carrie a failli ne pas le faire. Sa mère Margaret White, intransigeante bigote refuse de laisser sa fille se faire inviter par Tommy Ross, le plus beau garçon du lycée. « Pourquoi m'invites-tu ? », lui demande Carrie, « Parce que tu as aimé mon poème », répond-il. Tommy et Carrie sont sur la liste des candidats pour être roi et reine de la soirée. Ils seront élus car les votes sont truqués. A la manœuvre, Chris a engagé Norma, le garçon manqué de la bande pour subtiliser les vrais bulletins de vote et les remplacer.

Il s'agit pour Chris de faire monter Carrie sur l'estrade. Le vote est enfin annoncé. Brian De Palma utilise la même mélodie douceâtre de Pino Dinaggio que celle du la scène de douche où la jeune femme avait ses règles. C'est la même extase sur le visage, filmé également au ralenti, le champ sur Carrie heureuse et le contre-champ sur ceux qui applaudissent, élèves et personnel du lycée, ravis que Carrie ait pris sa revanche sur la méchanceté de ses camarades, une sorte de rêverie utopique, qui peut croire dans cette assistance que le vote puisse être régulier ? Le principal du lycée et Miss Collins se regardent avec des sourires béats. La montée sur l'estrade semblent ne jamais en finir et le spectateur sait ce qui va arriver.

La veille Chris et Billy, ainsi que deux autres comparses, sont allés sacrifier un porc pour en extraire le sang. Le visage de Chris quand Billy tue l'animal est aussi extatique que celui de Carrie, mais dans une version malsaine, tout comme ce gros plan sur ses lèvres rouges couleur sang sur lesquelles Chris passe sa langue langoureusement. Un seau de sang a été installé juste au dessus de l'estrade, relié par une corde que va tirer Chris installée là-dessous, cachée avec Billy. La caméra avec un sens abouti du ralenti filme ce long stratagème que découvre, éberluée Sue, finalement venue au bal en catimini, vite repérée par Miss Collins qui l'expulse de la salle et ainsi la sauve.

Ces dix minutes sont en trois mouvements de durée identique, le deuxième mouvement est la chute du seau sur Carrie, le sang se répand sur tout son corps. Pas un son n'est audible de la salle, filmée en muet, on peut lire sur les lèvres de Tommy et comprendre qu'il dit « What the hell » avant de recevoir le seau sur le crâne et de s'effondrer. Les visages sont stupéfaits, personne ne bouge plus, sauf Norma, casquette vissée sur la tête, qui commence à s'esclaffer devant ce spectacle, cette douche de sang de cochon qui colle aux cheveux et à la robe de Carrie.

La musique change de rythme, s'amplifie en intensité, appuyant sur les violons pour dramatiser la douche. Les voix reprennent, revenant comme quatre rengaines sur quatre moments de la vie de Carrie. « They're all gonna laugh at you », scandé par sa mère, le « Plug it up » des autres filles, « Trust me Carrie, you can trust me » de la prof de gym et le « We're all sorry Cassie » du principal qui se trompe de prénom. Les quatre voix se superposent créant une variation de comptine cruelle, dans un kaléidoscope de visages, autant d'ennemis que Carrie s'imagine s'être fait.

Il ne reste plus à Carrie qu'à massacrer toute la salle. Les violons de Pino Donaggio sont remplacés par un clavier strident, l'écran se divise en deux avec un split-screen, les lumières de secours au rouge vif s'allument, plus des éclairages bleus. Les sons, cris, décharge électrique, eau de la lance à incendie, feu, meubles qui s'écroulent se joignent à la musique, le regard de Carrie est hiératique, en extase, elle accomplit son œuvre. Ces dix minutes sont pour moi les plus belles du cinéma de Brian De Palma et Carrie demeure depuis toujours mon film favori du cinéaste.

Dans le quart d'heure qui reste, Carrie rentre chez elle pour affronter sa mère qui l'avait bien prévenu que « tout le monde allait se moquer d'elle ». Entre les deux femmes, c'est un combat à mort qui va se mener, à grands coups de couteaux où la mère reprendra sa place de Jésus comme sur un crucifix. De tous les élèves, seule Sue, l'ange rédemptrice, a survécu mais dans un ultime et génial mouvement de grand-guignol horrifique, Brian De Palma décide de la condamner, elle aussi, à une perpétuelle vie de cauchemar où Carrie n'en finit pas de hanter ses nuits.














































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