mardi 5 décembre 2017

Alice (Woody Allen, 1990)

Si ma mémoire ne me fait pas défaut, Alice est le premier film de Woody Allen que je suis allé voir au cinéma. En revoyant le film aujourd'hui (et je l'ai vu de nombreuses fois, c'est mon préféré du cinéaste), je me suis rappelé pourquoi j'étais allé le voir, non pas à cause de Woody Allen, de Mia Farrow, mais parce que Cybil Shepherd (la star de Clair de lune, l'une des séries de mon adolescence) joue dans le film. J'étais étonné que son rôle soit si petit, mais le film m'a ravi. Je n'ai depuis raté aucun film de Woody Allen et vu tous ses précédents.

Alice c'est évidemment Mia Farrow, sa compagne et actrice de prédilection (ça ne durera que le temps de deux films, on sait pourquoi), prénom emprunté opportunément à Alice au pays des merveilles (inutile de le rappeler), femme quadragénaire des beaux quartiers de New-York, mariée depuis 16 ans avec Doug (William Hurt), deux enfants et une tripotée d'employés. Ils apparaissent tous dans le premier plan séquence, une cuisinière, une nounou, un coach sportif et un chauffeur. La bonne vie bourgeoise.

Jamais Woody Allen n'avait créé une femme aussi insipide et qui s'ennuie autant, quoique dans La Rose pourpre du Caire, Mia Farrow s'évadait grâce au cinéma, plus tard Diane Keaton chassera son ennui en enquêtant sur ses voisins dans Meurtre mystérieux à Manhattan. Mais à 40 ans, Alice tourne en rond dans cet immense appartement (un décor pour une fois, pas un vrai appartement). Elle se confie à sa meilleure amie Nina (Robin Bartlett), de la même classe sociale sur ce parent d'élève qu'elle croise à l'école.

Cet homme s'appelle Joe (Joe Mantegna), brun et costaud, l'inverse du mari d'Alice. Dans le tout premier plan d'Alice, il apparaît avec elle dans le zoo de New-York devant l'aquarium des pingouins. Ils s'embrassent. C'est une scène qui n'existe pas, c'est un pur fantasme d'Alice. C'est ce fantasme qu'elle raconte à Nina, elle conte ce qu'elle a envie de vivre et, en Catholique pur jus, elle considère cette simple pensée comme une adultère : « j'ai une liaison », dit-elle naïvement.

Alice se déroule entre Halloween et Noël, un peu moins de deux mois où sa vie va être bouleversée de fonds en comble. Cette prétendue liaison a du mal à se concrétiser, Joe lui en a très envie, mais elle n'arrive pas à passer le cap ne serait-ce du simple baiser. Woody Allen pour appuyer la lenteur de leur liaison multiplie les signes d'obstacle entre eux : miroirs, vitre, barreaux, pluie et, plus généralement, il filme Mia Farrow le visage caché ou de dos face à son partenaire. Jusqu'à ce qu'ils couchent enfin ensemble, là la pluie s'est arrêtée.

Woody Allen s'amuse comme un fou à filmer Alice et ses amis dans les endroits les plus chics, un salon de coiffure où elles déblatèrent sur leurs amies, ce salon de thé où les toutous à mémère sont dans des cages en verre et aussi les magasins de fringue de luxe où elles dépensent leur argent. Ce luxe, ces vêtements et chaussures qui encombrent les placards, c'est la pomme de discorde avec Dorothy (Blythe Danner), la sœur d'Alice (là aussi, Dorothy est un prénom connoté du côté de chez Oz).

Le logement du Dr Yang (Keye Luke) qui lui sert aussi de cabinet au milieu de Chinatown est à l'inverse un invraisemblable bric-à-brac, un lieu plutôt sombre quand l'appartement d'Alice et Doug est blanc et lumineux. Dans la journée qui ouvre Alice, notre héroïne entend trois fois par différentes personnes parler de ce fameux Dr Yang. C'est suffisant pour l'intriguer et filer le rencontrer, dans son manteau et chapeau rouge, Alice est prête à passer dans un autre monde.

Le merveilleux à l’œuvre dans Alice prend la forme de l'hypnose, de potions à ingurgiter, d'herbes à faire brûler ou à fumer. « Tout est naturel », dit le Dr Yang avec un accent à couper au couteau. Alice n'en finit pas de parler de ses soucis sentimentaux, de la honte qui l'habite, elle prend tous ceux qu'elle rencontre pour un psy. Puis la magie opère et sur la belle musique interprétée par Jackie Gleason et notamment le morceau Limehouse Blues aux accents orientaux, Woody Allen se permet absolument toutes les facéties pour aller au pays des merveilles.


Retrouver un beau moment du passé avec son mari, devenir invisible et découvrir ce que disent d'elle ses amies, faire venir le fantôme d'Eddie (Alec Bladwin) et danser avec lui, discuter avec sa muse espiègle et au franc-parler (Bernadette Peters) ou revoir ses parents quand Alice et Dorothy étaient encore des jeunes filles. Tout est possible d'autant que ce Dr Yang est la métaphore du cinéaste, l'homme qui met en scène la vie d'Alice, spectatrice étonnée et enthousiaste devant ce spectacle.




























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