mardi 31 octobre 2017

J'ai aussi regardé ces films en octobre

Epouse-moi mon pote (Tarek Boudali, 2017)
Depuis la loi sur le mariage pour tous, le cinéma français peine toujours autant à nous sortir enfin une bonne comédie sur le sujet. Toute première fois (un gay qui tombe amoureux d'une Suédoise et annule son mariage), Les Tuche 2 (le fils aîné qui se marie à Las Vegas avec un homme) et aujourd'hui l'histoire de deux amis hétéros qui se marient pour empêcher l'expulsion de l'un d'eux. Ce refus de fiction du cinéma français a une raison simple : la peur des stéréotypes et sa conséquence directe, plonger dans l'homophobie. Ce qu'évite Epouse-moi mon pote tant l'accumulation et l'exagération des situations tendent vers un burlesque joyeux et libérateur. Cette année, le cinéma LGBT français est peu farouche. Jours de France s'embourbe dans les effets poétiques, Embrasse-moi d'Océane Rosemarie recycle un récit stupidement normatif et 12 battements par minute est un film d'époque. Pour que l'on arrête de se plaindre des stéréotypes, il va falloir que les cinéastes LGBT fassent preuve d'un peu plus de talent et d'imagination et qu'ils plongent dans notre époque et la regardent en face.

The Square (Ruben Ostlund, 2017)
Dans The Square, l'art contemporain est au centre du récit et de la vie de Christian (Claes Bang), commissaire d'exposition. On n'est pas dans une petite galerie indépendante, mais au cœur d'un musée d'état, un peu comme le MoMa ou le Centre Pompidou, à une différence fondamentale, ce musée d'art contemporain se trouve dans un palais ancien devant lequel se fige une statue d'un homme sur un cheval. La manière de Ruben Ostlund de parler de l'art contemporain dans son film sera la même pendant les 2h20 de son récit : comparer l'art contemporain avec la réalité, pour en faire un choc esthétique. Cette comparaison commence dès l'ouverture du film avec la destruction en règle de cette statue ancienne par les ouvriers et son remplacement par un carré lumineux au ras du sol (ah ouais, c'est ça l'art ?, doit spontanément se dire le spectateur). Au ras du sol, on trouve aussi des clochards et des mendiants qui doivent faire réagir par rapport au couple de vieillards qui fait une très forte donation au musée, ce couple est montré par le cinéaste comme n'ayant plus toute sa tête et Christian et sa patronne sont désignés comme des rapaces qui tournent autour d'eux pour pouvoir acheter des œuvres telles que ce carré lumineux. L'art contemporain est toujours une cible facile avec sa réputation sur l'argent (c'est du gaspillage) et sur la facilité (tout le monde pourrait le faire). De P.R.O.F.S où Fabrice Lucchini étendait des tonnes de couches pour bébé à Mon pire cauchemar d'Anne Fontaine (et son prochain film Marvin s'attaque cette fois au théâtre) en passant par La Vie d'Adèle (la comparaison des deux modes de vie des héroïnes), l'art contemporain est la risée des cinéastes, subit une critique acerbe et fournit l'occasion de montrer que ceux qui en vivent sont hors du monde réel, tel ce grand bourgeois qu'est Christian qui se trouve confronté à un gamin de banlieue. De purs stéréotypes que le cinéaste énumère sans les remettre en cause, l'hôpital qui se fout de la charité.

Logan Lucky (Steven Soderbergh, 2017)

Moi qui croyais que Steven Soderbergh avait arrêté le cinéma, mais le voilà avec Channing Tatum en tête de gondole prêt à reprendre du service pour un casse comme au siècle dernier. Finis les beaux costumes de George Clooney et Brad Pitt, voici les shorts et chemises hideuses de Channing, la main en moins d'Adam Driver, les tatouages et les cheveux peroxydés de Daniel Craig et les fanfreluches de Katie Holmes et Riley Keough. Les Logan et toute la troupe habitent en Virginie Occidentale, terre d'élection de Trump, on a droit à à peu près tous les stéréotypes sur les rednecks et autres ploucs. Le film met un peu de temps à démarrer et ne dépasse pas les limites de vitesse. Tout tourne justement autour des bagnoles, de Fast & Furious qu'un père de famille veut montrer à ses enfants pour les calmer, à une compétition de NASCAR (le film regorge de noms de marque = publicité à chaque séquence) et au plan-plan des voitures automatiques. On s'amuse un peu.

lundi 30 octobre 2017

Les Oubliés (Vittorio de Seta, 1959)

Direction les villages isolés de Calabre en 1959. Celui des Oubliés est à 15 km de la route goudronnée la plus proche et c'est à dos de mulets, à travers un paysage rocailleux coupés de rivière sans pont, que les marchandises sont acheminées. Au bout de la route, la bruine accueille le convoi. Les habitants s’abritent des gouttes, tout comme leurs agneaux, sous de rudimentaires porches qui encadrent les rues étroites et pavées de pierres. La deuxième partie des Oubliés est consacrée à la fête du sapin, manière de célébrer l’arrivée du printemps. On scie un sapin, on lance des pétards, on tire au fusil, on joue de l’accordéon, on chante et on siffle.


Le sapin est transporté du sommet d’une montagne jusqu'au village dans un rituel joyeux par les hommes. Les femmes portent des tenues colorées et commencent à servir, sur des nappes à même le sol, des nombreuses victuailles. La dernière séquence montre un marché où les produits, saucissons, gâteaux ou fromage, sont accrochés tels des lots sur une mât de cocagne. La fête se poursuit avec la mise en place au milieu du village du sapin orné de branches à son sommet que les plus aventureux chercheront à grimper jusqu'au sommet. La fête s'achève par une procession religieuse. 



















Ces dix courts métrages de Vittorio de Seta, d'environ 9 minutes chacun, que j’ai vu ce mois d’octobre, sont visibles sur le DVD édité par Carlotta titré Le Monde perdu.

Une journée en Barbagie (Vittorio de Seta, 1958)

Bergers à Orgosolo s'occupait des hommes solitaires avec leurs troupeaux de brebis ou moutons là-haut sur la montagne, Une journée en Barbagie suit la vie quotidienne des femmes en 1958. Les tâches sont nombreuses, s'occuper des enfants, les laver, leur faire à manger, faire la lessive, étendre le linge, tenir le feu dans la cheminée. Et ramasser ce bois mort qui ira dans l’âtre, le couper d'abord, à la main, au pied ou à la serpette, en faire des fagots et enfin les transporter posés sur la tête des collines au village. Vittorio de Seta les filme comme des abeilles affairées, sans jamais prendre de repos.


On retrouve les femmes dans les lits de la rivière en train de taper le linge, dans un champ à biner, dans les cuisine à pétrir la pâte à grands coups de main. Les fagots servent au feu pour cuire le pain qui gonfle comme par magie devant la caméra de Vittorio de Seta, tel un ballon. Les femmes les plus jeunes sont habillées de vêtements de couleurs écrues, leurs mères, belles-mères, grands-mères portent encore le voile noire sur les cheveux. Les fillettes entament une ronde, les garçons jouent au football. Le soir, les maris rentrent, ils discutent sur le pas de la porte avant de rentrer dans la cuisine pour manger et se coucher.












samedi 28 octobre 2017

Leçon de classes (Jan Hrebjek, 2016) + Pour le réconfort (Vincent Macaigne, 2016)

Lutte de classes. Je ne sais pas si la ressortie de Octobre pour le centenaire de la révolution russe me pousse à associer Leçon de classes de Jan Hrebjek avec Pour le réconfort de Vincent Macaigne, mais je trouve que ces deux films évoquent la lutte de classes. Leçon de classes se déroule en Tchécoslovaquie, précisément à Bratislava en Slovaquie (premier film slovaque que je vois), au début des années 1980, juste après l'élection de Ronald Reagan et avant l'arrivée de Mikhaïl Gorbatchev à la tête de l'URSS, une période de glaciation de la guerre froide où les pays du bloc de l'est étaient dirigés par des vieillards.

Le cadre est un collège où une nouvelle enseignante, membre du Parti communiste, fait sa rentrée. Dès sa première apparition et son premier cours, elle en impose et petit à petit, le pouvoir qu'elle va exercer sur les élèves, franchement terrorisés, comme sur leurs parents, conscients du danger de ne pas désobéir aux requêtes de la professeure crée une tension qui va crescendo. Elle s'arroge le droit de demander des faveurs à tous grâce une rhétorique bien huilée. Elle fait en sorte que les services qu'elle demande (aider à faire des courses, des travaux, se faire coiffer gratuitement et des faveurs sexuelles) paraissent venir de ceux à qui elle s'adresse.

C'est toute la mécanique du totalitarisme à petite échelle que le cinéaste décortique, cette mécanique passe par la corruption, le mensonge, l'intimidation que le petit pouvoir de cette enseignante possède par le seul fait de sa carte au Parti. Le film est construit en deux temps, une réunion des parents d'élèves prend l'allure de 12 hommes en colère, un parent d'élève doit convaincre les autres parents de signer une pétition. En parallèle, la machine à broyer fait son œuvre. Certes, on pourrait regretter que ce film arrive 25 ans trop tard, mais il fonctionne pour toutes les démocraties fallacieuses encore en place dans les anciens pays socialistes.

Chez Vincent Macaigne, la lutte des classes à lieu dans la campagne vers Orléans. Un château au milieu des champs et des forêts voit revenir ses deux propriétaires. Pauline et Pascal, frère et sœur, issus d'une famille vaguement aristo, ont dépensé tout l'argent de l'héritage en allant vivre elle à New-York, lui au Mexique. L'hiver venu, les voilà fort dépourvus. Bref, ils doivent abandonner leur vie d'oisiveté pour rentrer dare-dare à Orléans et payer les traites, comme ils se le disent dans la conversation skype qui ouvre Pour le réconfort. L'arrivée par des chemins de traverse sur leur domaine, avec la douce voix de Vincent Macaigne (qui ne joue pas dans son film) annonce la lutte de classes du film.

Pauline et Pascal retrouvent leurs anciens amis. Joséphine a utilisé les champs alentours pour planter des arbres, son compagnon Laurent, grand béta qui dit tout ce qu'il pense sans restriction, travaille dans l'EHPAD que dirige Emmanuel, son slogan : « la vieillesse, c'est l'avenir ». (On remarquera que les personnages, comme dans le précédent film de Vincent Macaigne conservent leur vrai prénom.) Tous se connaissent depuis l'enfance et les premières retrouvailles donnent l'occasion d'un bon gueuleton dans le château. Puis, l'heure des règlements de compte (puisque Pauline et Pascal n'ont plus de sou) arrive et c'est Emmanuel qui se montre le plus virulent.


Le film, tourné en 1:37, fonctionne par tableaux comme autant de dialogues entre les différents protagonistes. La haine, d'abord larvée puis exposée au grand jour, d'Emmanuel à l'encontre de ses anciens amis (« regarde-moi ces connards » dit-il à Laurent), son mépris pour les arbres de Joséphine, deviennent plus cruels au fil du récit. L'acmé de cette aversion a lieu avec Pascal, dans la voiture d'Emmanuel, aussitôt tempérée par un étrange pot au cidre dans un champ. Ça n'est rien de dire que Vincent Macaigne s'est calmé, passant du chaud au froid, quand dans Ce qu'il restera de nous, en n'appuyant que sur le chaud, il rendait son court-métrage insupportable.

jeudi 26 octobre 2017

Brooklyn yiddish (Joshua Z. Weinstein, 2017)

Avec les sorties de ce mercredi, je suis content à double titre, Brooklyn yiddish est court et il se déroule à New York. L'affiche française est cependant mensongère, on voit le personnage principal Menashe (Menashe Lustig) et son fils Ruben (Ruben Niborski) se promener dans l'une des rues les plus connues de Brooklyn et au fond le Pont de Manhattan, l'image est célèbre pour illustrer Il était une fois en Amérique de Sergio Leone, mais jamais ils ne se rendent dans ce lieu très touristique de Brooklyn, le quartier DUMBO (Down Under Manhattan Bridge Overpass).

Le film se passe dans un quartier un peu plus au sud, le premier plan observe une rue bondée, que des hommes, tous reconnaissables à leur tenue spécifiques, chapeau et long manteau noirs, papillotes aux cheveux, tsitsits accrochés au pantalon. Puis, Menashe se détache du lot et la caméra le suit. Ce Juif ultra orthodoxe, on le sait, joue son propre rôle, un veuf forcé de laisser son fils d'une douzaine d'années à son beau-frère Eizik (Yoel Weisshaus). La Torah affirme qu'un enfant doit être élevé par un homme et une femme.

Brooklyn yiddish est entièrement parlé en yiddish, je crois que je n'avais jamais vu un film dans cette langue (je me rappelle la première scène de A serious man des frères Coen). On est totalement plongé non seulement dans cette langue mais dans cet univers dont les règles sont presque énigmatiques (l'ablution matinale, le port du talit, la fête du feu), une approche documentée mais sans en faire trop, sans appuyer sur les détails. Le cinéaste Joshua Z. Weinstein vient du documentaire et de la même école que les frères Safdie.

Menashe vit dans un petit appartement, pas franchement le luxe, une seule pièce, une petite table, deux petits lits, un pour lui, l'autre pour le gamin. Quand le père parvient à voir son fils, c'est rapidement, au coin d'un parc, sur le chemin de l'école, avant d'aller au boulot. Menashe bosse dans un commerce kascher, homme à tout faire, il est caissier, il remplit les rayons, il décharge les paquets, il passe la serpillière. Son patron le regarde avec dédain et sans pitié, baissant les yeux comme s'il lui accordait une faveur en l'employant.

On ne saura jamais vraiment ce que Ruben veut, s'il préfère vivre avec son père dans ce studio ou avec son oncle Eizik et sa tante dans leur bel appartement. Ruben hésite notamment par rapport aux repas, sa tante prépare des kugels infects (un plat de pommes de terre). Mais quand son père picole avec ses anciens amis de l'étude biblique (yechiva), Ruben téléphone à l'oncle et Menashe se fait engueuler comme un adolescent, suant de grosses gouttes, soulevant ses lunettes cerclées d'or, balbutiant. Comme son patron, le beau-frère est impitoyable.

Pour créer un lien avec son fils, Menashe achète un poussin, ils devront l'élever tous les deux (le père chante une chanson cocasse sur le poussin qui deviendra un poulet destiné à finir à la casserole). Pour pouvoir élever Ruben, il faudrait seulement qu'il trouve une femme. Il a bien quelques rendez-vous, filmés de manière drôlatique, où les femmes comprenant qui est le bonhomme, l'éconduisent sans ménagement. Et quand un ami de Menashe lui suggère d'épouser sa belle sœur divorcée, il préfère se jeter sur la vodka.


Ce qui frappe dans Brooklyn yiddish, c'est la double tonalité. D'un côté, on est navré du sort que fait subir sa communauté à Menashe, on parle cru dans le film, on se lance des vérités sans pincette, d'un autre côté, il accumule les bévues et les gaffes (retard au bpoulot et à l'école, livraison de poisson qui tombe du camion, son kugel qui manque d'enflammer l'appartement), cette maladresse et ce corps encombrant tente de lutter. Cette tendresse pour son personnage passe par un certain humour et le sourire de Ruben emporte l'adhésion.

mercredi 25 octobre 2017

Bergers d'Orgosolo (Vittorio de Seta, 1958)

Barbagie 1958. Vittorio de Seta se déplace de la Sicile à la Sardaigne, à Orgosolo où la terre est rocailleuse et sèche, là où personne ne va jamais sauf les bandits (le premier long métrage du cinéaste tourné en 1961 s’appelle Bandits à Orgosolo) sauf les bergers. Les biquettes n’ont pas grand chose à manger, il y a plus de rochers que d'herbe fraîche. Elles sont superbes ces chèvres avec leur long poil, idéal pour supporter la neige qui commence à tomber. Le berger trait les chèvres, poussant fermement mais gentiment les cabris (encore plus mignons que les biquettes).


La nuit tombée, les chèvres couchées et endormies, les bergers fabriquent le fromage. Au dessus, l’orage gronde et les flocons tombent sur la laine des moutons. Les bergers font un grand feu pour tenir le froid, pas folles, les bêtes s’approchent du brasier. Le berger sarde vit dans sa montagne comme le pêcheur sicilien vit sur la mer. Mais Vittorio de Seta trouve à Orgosolo un cadre majestueux et farouche, la rudesse, le froid et la solitude sont plus présentes. Et sans doute, au bout de ces quelques courts métrages, sa méthode de mise en scène s'épanouit sur la terre ferme.