lundi 14 août 2017

Office (Johnnie To, 2015)

Le film de Hong Kong est devenu depuis quelques années une denrée très rare dans nos salles de cinéma. Depuis Life without principle en 2012, du même Johnnie To, on a pu voir The Grandmaster de Wong Kar-wai, Young Detective Dee et La Bataille de la montagne du Tigre, tous deux de Tsui Hark ou The Assassin de Hou Hsiao-hsien, ces quatre films étant des co-productions entre Hong Kong, la Chine continentale ou Taïwan. Et quelques films sortis directement en DVD. C'est une grosse surprise de voir débarquer dans quelques salles (pas beaucoup en vérité) Office, sorti en octobre 2015 à Hong Kong.

Il se produit toujours une bonne trentaine de films à Hong Kong mais rien n'arrive jusqu'ici. Faut comprendre, on est trop cons pour comprendre les subtilités locales sans doute. Même le Festival de Cannes n'essaie plus de regarder ce qui sort là-bas, c'est vrai quoi, personne ne connaît les stars locales. Justement dans Office, Chow Yun-fat fait son grand retour chez Johnnie To. Il avait tourné avec lui et Sylvia Chang (scénariste et actrice principale de Office) deux films, All about Ah Long (1989, sublime mélo) et The Fun the luck and the tycoon (1990, comédie loufoque), tous deux oubliés de la rétrospective de la Cinémathèque Française en 2008.

Office est l'adaptation d'une comédie musicale créée par Sylvia Chang qui incarne ici Winnie Chang, femme d'affaires (cheveux courts, tailleur sur mesure, broche en pierres précieuses, chaussures de marque). Elle règne sur ses employés telle une impératrice avec son patron Ho Chun-ping (Chow Yun-fat), dont l'épouse est tombée dans le coma. Quand Monsieur Ho arrive aux bureaux, c'est le branle bas de combat, tous les employés se courbent, le saluent avec obséquiosité et déférence avant qu'il ne prodigue ses conseils, tel un général, pour conquérir de nouveaux marchés et faire de nouvelles acquisitions.

Parmi les nouveaux soldats de l'entreprise, deux jeunes employés qui débarquent dans la cohue la plus totale. Elle s'appelle Kat (Lang Yue-ting), il s'appelle Lee Xiang (Wang Ziyi), elle a droit de prendre l'ascenseur toute seule, il doit faire la queue dans le hall. Quand il se présente, avec un sourire un peu crétin, il sort la même formule à chacun « je m'appelle Lee Xiang, Lee comme Ang Lee, Xiang comme le mot doux ». Elle ne dira rien de sa vie à son superviseur David (Eason Chan) quand il leur demande de se présenter. Elle est la fille de Monsieur Ho Chun-ping, mais elle est ici incognito et doit accomplir son stage sans privilège.

L'entreprise est en ébullition, il est prévu d'acquérir une marque de cosmétiques américaine, la firme « Madame » et de rentrer en bourse. Tout se commence en 2007, quelques mois avant la crise économique et la chute de la banque Lehman. Les comptes sont truqués et la comptable, Sophie Lu (Tang Wei) se prend quelques coups de stress. Pour l'instant tout va bien, nos deux jeunes employés doivent apprendre par cœur quelles boissons les cadres vont boire lors de la réunion quotidienne, et Lee Xiang est le plus fortiche pour retenir ces petits détails qui pourront faire que David ou Madame Chang le notent comme il faut.

La première heure de Office ne parle que d'argent. Mieux, elle ne chante que d'argent. Car comme je l'écrivais plus haut, le film est tiré d'une comédie musicale. Donc, tout le monde chante et danse (un peu) dans ce décor unique composé d'escaliers, de couloirs, de terrasses surmontés de longues barres de néons qui change de couleurs suivant la pièce censée être représentée. Cela donne un effet fort original et parfois déconcertant, unique dans le cinéma de Johnnie To, une sorte de déréalisation de cet univers où certains personnages ont perdu tout sens commun. Bon, faut l'avouer, le scénario n'est pas toujours très simple à suivre.

Au milieu du décor, deux immenses horloges. L'une blanche pour marquer que l'on n'est pas dans l'entreprise : dans l'appartement de Lee Xiang, à l'hôpital, au bar. L'autre est encore plus grande, on en voit le mécanisme intérieure. Deux messages sont clairement donnés par Johnnie To. D'abord que « le temps c'est de l'argent », et on entend le tic-tac de l'horloge au fur et à mesure que la crise arrive inéluctablement à Hong Kong. L'autre est tout simplement de montrer les mécanismes, l'envers du décor d'une entreprise gangrenée par l'appât du gain et l'argent facile, par les rapports hiérarchiques complexes et ancestraux et bien entendu par l'amour.

En effet, dans la deuxième heure, une fois le décor bien planté (je ne saurais dire mieux), ce sont les relations entre les personnages qui sont mises en avant. Lee Xiang cherche à savoir qui est Kat, elle lui plaît bien. Madame Chang est la maîtresse de Monsieur Ho mais elle est courtisée par David Chang. Ce dernier a aussi un coup de foudre pour Sophie qui vit mal sa relation à longue distance avec son petit ami parti en Chine continentale. Tout le monde chante en cantonais (Eason Chan est le meilleur), quel plaisir pour moi de voir un film en cantonais au cinéma. Je suis bien content et c'est tellement mieux que La La Land.

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