mercredi 16 août 2017

Le Festin nu (David Cronenberg, 1991)

Dans cette réalité, William Lee (Peter Weller), double littéraire de Willam S. Burroughs, dans ce New York de 1953 reconstitué entièrement en studio dont on ne voit que les intérieurs, est un exterminateur, frappant aux portes des appartements et aspergeant avec sa sulfateuse les recoins pour éliminer les cafards. Avec son costume marron, son chapeau, sa cravate et ses lunettes d'intello, William se démarque de ses collègues exterminateurs. Dans une vie précédente, il était écrivain et ses deux amis Hank et Martin (Nicholas Campbell et Michael Zelniker), également écrivains, sont plus proches de lui du strict point de vue vestimentaire.

Ils tentent de ramener William, qu'ils rencontrent dans un café restaurant après son labeur, sur le chemin de la littérature. Mais notre homme n'en démord pas, l'écriture est derrière lui, désormais il consacre sa vie à tuer des insectes. Seulement voilà, lors de cette mission qui ouvre Le Festin nu, il tombe en rade de poudre à exterminer. Son patron Hauser (John Friesen) et ses collègues savent pertinemment où la poudre de la sulfateuse de William Lee passe : dans une seringue. Et cette seringue est dans le bras de Joan Lee (Judy Davis), son épouse. Elle se pique pour rentrer dans une autre réalité et invite son mari à la rejoindre, ce qu'il fait après avoir protesté mollement.

Cette réalité que crée la poudre anti cafard s'appelle l'Interzone. David Cronenberg aime donner des noms aux contrées que le cerveau de ses personnages partent explorer, le Videodrome ou eXistenZ. Pour accéder plus vite à l'Interzone, le bon docteur Benway (Roy Scheider) donne à William Lee un flacon de poudre noire. Cette substance est composée de centipède, une sorte de mille-patte, écrabouillé, séché et concassé. Les pouvoirs de cette drogue sont tellement puissants que William tue Joan en jouant à « Guillaume Tell » dans leur cuisine, la balle se loge dans le crâne de l'épouse, l'occasion pour l'exterminateur de fuir totalement New York et de se réfugier dans L'interzone.

C'est dans une ville qui ressemble à l'Afrique du Nord qu'il se rend, avec une machine à écrire Clark-Nova pour faire des rapports. Le Festin nu avait commencé avec deux cafards qui se promenaient, il continue avec d'autres insectes aussi peu ragoutant. Cette ville regorge de centipèdes, ceux de l'usine à drogue de Hans (Robert A. Sullivan), personnage étrange comme l'acteur sait si bien en jouer, qu'il fait visiter à William, non sans précaution. C'est le pendentif du jeune Kiki (Joseph Scorsiani), giton qui traîne dans les cafés et qui présente à William le Mugwump, créature hybride qui sirote tranquillement un cocktail au comptoir et discute avec lui.

Fruit de son imagination ou délire de toxico, là n'est pas la question. Ce qui importe est que ces bestioles vont diriger la vie sexuelle de William Lee. Le Mugwump devient machine à écrire qui éjacule dès que William Lee écrit un texte plaisant. La Clark-Nova devient un coléoptère de grande taille et s'exprime par un orifice qui ressemble à un anus. Elle dicte son texte à William : « l'homosexualité est la meilleure couverture qu'un agent puisse avoir ». Une autre machine à écrire se transforme en corps nu et se fait fouetter par Fadela (Monique Mercure) qui a remplacé Hans dans l'entrepôt de fabrique de drogue.

Dans l'Interzone de cette Afrique du Nord, William obéit à sa Clark-Nova. Il va coucher avec des hommes. Le jeune Kiki tout d'abord, au regard si doux. Puis, un dandy suisse nommé Yves Cloquet (Julian Sands), tout habillé de blanc et au regard si pénétrant et intriguant. Il rencontre Tom Frost (Ian Holm), vieil écrivain (c'est lui qui prêtera à William sa machine à écrire qui sera bouffée par la Clark-Nova), amateur de jeunes hommes. William ne couchera pas avec Tom mais sera intéressé par son épouse Joan (Judy Davis), qui ressemble comme deux gouttes d'eau à feue son épouse. Joan Frost est l'esclave sexuelle de l'énigmatique Fadela.

Dans cette illusion de chaos narratif plein de drogues, de métaphores sexuelles, de personnages interlopes, ce qui reste constant est le regard de William Lee, toujours étonné de ce qui lui arrive quand tous les autres semblent nager en pleine cohérence et surpris qu'il soit étonné. Ce chaos s'exprime par les accords de jazz d'Ornette Coleman, virevoltants et abrupts, par la couleur glauque des décors (un mélange de bleu et vert) où son costume marron se détache, marque de fabrique de David Cronenberg (le glauque atteindra son paroxysme dans Crash, eXistenZ et Spider, j'en reparlerai), dans lesquels se déplace le personnage de Peter Weller, hagard, comme parfois le spectateur que je suis ravi d'être emmené dans un voyage bizarre, dans une contrée étrange, dans cette réalité irréelle.




































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