jeudi 6 juillet 2017

La Pendaison (Nagisa Oshima, 1968)

« Etes-vous pour ou contre l'abolition de la peine de mort ? Vous les 71% qui êtes contre, avez-vous déjà vu une exécution ? » La voix off qui ouvre La Pendaison se fait insistante. Il s'agit de faire œuvre documentée, jusqu'au détail insignifiant, histoire de bien comprendre qu'une exécution est un acte réel. De la couleur des murs à la taille des pièces, du nombre de sièges à la place du Bouddha pour prier, chaque élément est montré, scruté, décrit avec une minutie qui confine à la maniaquerie. Cette ouverture est violente, abrupte et soudaine, elle rend inconfortable la position du spectateur tout en rendant ridicule ce qui s'apparente à un rituel établi par l'Etat japonais.

Le film qui se lance commence par une pendaison, l'exécution d'un homme, condamné à mort, un Coréen qui ne sera jamais appelé que R (Yundo Yun). Une simple initiale. Mais tous les autres personnages de ce brillant film de Nagisa Oshima n'ont pas non plus de noms. Ils ne seront considérés que par leur titre, leur grade, leur fonction. A l'inverse de la minutie de la description du cadre où se déroule la pendaison, c'est par contraste l'absence d'histoire de ces hommes (rien que des hommes) qui étonne. On reconnaît quelques acteurs récurrents de Nagisa Oshima (Kei Sato, Fumio Watanabe), mais ces fonctions empêchent toute identification à leurs personnages, pour l'instant observateurs de la pendaison.

Le gibet est mis autour du cou de R, la corde est tendue, l'ordre est donné de libérer la trappe. R est exécuté, le voilà pendu. Drôle de manière d'entamer un film, sans que l'on sache pourquoi cet homme a été condamné à mort. La fiction s'enclenche quand le personnel de la prison se rend compte, au bout de longues minutes, que R n'est pas mort. Le condamné à mort ne veut pas mourir. Le cas ne s'était jamais présenté. Le médecin suggère, non sans cynisme, au directeur de la prison qu'il faut ranimer R afin de pouvoir à nouveau le pendre. L’aumônier chrétien (car ce Coréen est adepte de cette religion dans un Japon unanimement bouddhiste) commence à protester du sort fait au jeune homme de 22 ans.

Cette fiction qui s'enclenche est celle de la mémoire du Japon, celle de la Corée, de leur sinistre histoire commune, de la colonisation criminelle organisée pendant plusieurs décennies. C'est le présent de milliers de Coréens vivant au Japon. R s'avère faire preuve d'amnésie, il ne se reconnaît plus, il clame de rien se rappeler, de ce crime, de sa vie, ni même son nom. Les Japonais veulent recréer le passé de R et cela passe par l'idée qu'ils se font des Coréens, jugés sales, grossiers, analphabètes, idiots. Ils s'empressent de corriger leur recréation de l'histoire de R. « Non, un Coréen ne tient pas aussi droit qu'un Japonais », et celui qui prend en charge le récit de R de se courber, de se tenir comme un animal. Nagisa Oshima décrit le racisme ordinaire et mesquin de ses concitoyens.

C'est un petit théâtre qui se met en place où chaque acteur tente de jouer le rôle de R. C'est d'abord le directeur de la prison qui met en scène, vite supplanté par le responsable de l'exécution, un homme à lunettes rondes qui ne disait rien au début mais qui va prendre en charge le passé de R, le créer de toutes pièces devant nos yeux et ceux des autres fonctionnaires, devant le procureur assis solennellement devant un drapeau japonais, garant du bon fonctionnement de la mise à mort. Mise à mort, mise en scène. L'hystérie s'empare du fonctionnaire à lunettes qui saisit le cou du jeune homme pour mimer le meurtre que R est censé avoir commis, l'assassinat de deux jeunes japonaises. Mais R n'existe plus, il n'a pas recouvré la mémoire et les flash-backs du personnel doivent lui faire ressortir cette vérité et sa mémoire.

Nagisa Oshima malmène superbement son récit qui s'avère épuisant tout en étant d'une fluidité incroyable. Il se permet l'une des plus belles scènes oniriques de tout son cinéma quand R sort de la prison, suivi par les 12 chefs, policiers, procureurs et fonctionnaires qui l'entouraient jusque là. Ils vont en ville. Séquence onirique et irrésistiblement drôle, car plus le film avance plus son humour noir se fait sentir. Jusqu'à présent, R était entouré d'hommes, voici une femme, sa sœur (Akiko Koyama), venue parler à son frère. Et soudainement morte, changeant de tenue sépulcrale à chaque plan, désorganisant ce rituel ridicule dont Nagisa Oshima s'est employé à démontrer l'inanité. Il ajoute des images fixes du Journal de Yunbogi à d'autres de R pour appuyer encore plus le sort des Coréens. La Pendaison est l'un de ses plus beaux films, dans un noir et blanc magnifique.























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