lundi 3 juillet 2017

Chromosome 3 (David Cronenberg, 1979)

Deux hommes se font face sur la scène d'un amphithéâtre. Le père et le fils, ils discutent de leur relation devant les spectateurs assis sur les gradins. Soudain, le visage du père se fait insistant, il commence à dénigrer son rejeton, il lui dit qu'au lieu de l'appeler Michael, il faudrait l'appeler Michelle tant il n'assume pas sa vie. Michael, suant et anxieux, enlève sa chemise où des furoncles rouges sont visibles sur son torse et son dos. Les spectateurs réagissent fortement devant cette révélation de ce corps meurtri et malade.

« Cet homme est un génie », dit quelqu'un assis sur les gradins. L'homme en question, celui qui est assis sur scène et qui mène l'inquisition est le docteur Hal Raglan (Oliver Reed), inventeur d'une nouvelle méthode de psychiatrie et les spectateurs sont ses patients. Au fond de la salle, Frank Carveth (Art Hindle) ne pense pas que Raglan est un génie, bien au contraire. Son épouse Nola (Samantha Eggar) est l'une des patientes et si Frank est dans la salle, c'est pour sa fille Candice (Cindy Hinds) qu'il vient chercher.

Deux films se côtoient dans Chromosome 3. Le premier est une sorte de Kramer contre Kramer dans un Toronto glacial et partiellement enneigé. Les parents Carveth se partagent la garde de leur petite fille, ils se déchirent d'autant plus que Nola est obligée d'accueillir Candice dans le centre psychiatrique du Dr. Raglan. Le père proteste avec énergie, il craint que sa fille ne souffre de la proximité des malades. Ce récit est à l'épreuve du réalisme, il se situe dans un élément social contemporain, le divorce et ses conséquences sur les enfants, avec ses crises et menaces de procès.

Le deuxième récit est l'apparition par petites touches du fantastique (certains diraient de l'horreur). Des meurtres terrifiants ont lieu. Première victime, la grand-mère de Candice, sauvagement assassinée à coups de marteau chez elle. Des bruits viennent de la cuisine, les bouteilles de lait sont renversées, une main défonce les placards, se saisit d'un marteau pour attendrir la viande. Mais c'est le crâne de la grand-mère qui sera explosé. La fillette a tout vu de ses grands yeux écarquillés, elle comprend immédiatement qui a tué sa grand-mère.

C'est directement du Village des damnés que vient cette progéniture du titre en anglais, cette enfant blonde avec son anorak rouge a des frères ou sœurs qui viennent tuer son entourage. Après la grand-mère, c'est au tour du grand-père, puis de l'institutrice. Des rejetons maléfiques et terrifiants qu'un médecin légiste va autopsier (court flash-back en sépia violet) : ils n'ont pas d'organes génitaux, ni mâle ni femelle, pas de nombril, ils n'existent pas mais ils sont là à terrifier Frank Carveth. La « psychoplasmics » du bon Dr. Raglan est la mère de ces créatures hybrides .

Le mutisme de Candice de plus en plus prononcé s'oppose à la logorrhée de sa mère Nola dont les séances de psychanalyse avec son médecin sont éprouvantes. Ce personnage de mère aux longs cheveux apparaît toujours assis, dans une large tunique blanche, telle une vierge immaculée. Elle apparaît dans peu de scènes mais chacune d'elle apporte un peu plus, à la fois de l'angoisse, et des réponses à l'enquête que mène Frank, jusqu'à la révélation finale aussi grandiloquente que l'élocution de Nola, appuyée par l'immense musique de Howard Shore.

Pour moi, Chromosome 3 est le premier film de David Cronenberg. Il avait déjà fait des films depuis 10 ans, mais je n'ai jamais pris de plaisir à les regarder comme j'en prends devant Chromosome 3 que je connais depuis des années, passages télé réguliers à la télé (en VF bien entendu). Quand la machine cerveau se détraque, c'est le corps qui trinque, qui se déforme, qui prend des formes hybrides et le génie de David Cronenberg, depuis ce film jusqu'au aujourd'hui, est de faire de cette hybridation le fond comme la forme de son cinéma.































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