Avant
de me laisser charmer par la machine à écrire vivante du Festin
nu, je prends quelques jours sans cinéma et sans écrire.
samedi 29 juillet 2017
vendredi 28 juillet 2017
Le Lauréat (Mike Nichols, 1967)
50
ans après sa sortie, je vois pour la première fois Le Lauréat.
Il était mimi Dustin Hoffman à ses débuts, petite coupe proprette,
costume d'étudiant modèle qui revient chez ses parents en
Californie à ses 21 ans, au tout début de l'été. Il navigue dans
la maison familiale où tous les amis de ses parents ont été
invités pour célébrer ça. Ce qui compte pour ces riches parvenus
n'est pas que le jeune Ben ait eu son diplôme et qu'il puisse entrer
dans la vie active, c'est que les parents puissent faire les fiers
devant tout le monde. La seule à s'en foutre complètement est Mrs.
Robinson que joue Anne Bancroft avec un somptueux détachement.
Ce
qui intéresse cette quadragénaire qui aime le Bourbon (alors que
son mari aime le Scotch) est de dépuceler cet ado attardé. Regarder
Le Lauréat en 2017 donne une idée précise de ce le Nouvel
Hollywood (le scénario est de Buck Henry) croyait être la
modernité. Cela donne lors de la scène où Benjamin (comme elle
l'appelle) découvre la nudité de Mrs. Robinson (il la nommera ainsi
pendant tout le film), des plans en inserts de sa poitrine, très
rapides, à peine 24 images par seconde. Cela passe aussi par des
zooms, des discussions dans le noir. Cela permet d'écouter deux
trois chansons de Simon & Garfunkel en guise de bande sonore
(Sound of silence, Mrs. Robinson).
Mais
cela donne également un portrait de l'Amérique blanche (pas un Noir
de tout le film) peu reluisant, des hypocrites, des gens vulgaires
(la scène de l'anniversaire de Ben où son père l'oblige à faire
le fanfaron, encore pour ses propres amis, en tenue de plongée), des
personnages qui n'aiment que l'argent. Le jeune puceau devient vite
accroc au sexe et il se tape non seulement la mère mais la fille,
Elaine (Katharine Ross) et pire que tout, il interrompt le mariage
religieux de cette dernière pour s'enfuir ensemble, là était sans
doute pour certains le plus grand outrage aux bonnes mœurs et pour
d'autres le summum de la critique sociale. Faut le dire quand même,
ça a un peu vieilli.
Valérian et la cité des milles planètes (Luc Besson, 2017)
Que
dire sur le dernier « avatar » de Luc Besson, d'abord des
faits financiers, énorme budget, bide colossal aux Etats-Unis où il
est sorti 5 jours avant la France, et, comme je l'écrivais dans mon
hommage à David Bowie constatant que les cinéastes en mal
d'inspiration plaçaient un de ses morceaux pour une scène spatiale,
une chanson (Space Oddity évidemment, oui comme dans Les gardiens
de la galaxie) est présente pour lancer le récit.
La
conception de cette cité aux 1000 planètes est amusante (les
commandants de la station Alpha sont jouées par des cinéastes
français), l'inauguration du « pitch » sur la planète
Mül convenue et terriblement mal conçue (on dirait des effets
spéciaux du début du siècle), la présentation du duo vedette
Valérian et Laureline (Dane DeHaan et Cara Delevingne) est
irritante. Luc Besson n'arrive à mixer la romance entre les deux
jeunes gens et leur mission, les répliques sont insistantes, d'une
naïveté déconcertante (ah, Valérian veut épouser Laureline) et
Besson croit faire des gags récurrents en sortant cette
sempiternelle demande en mariage à chaque séquence d'action.
Justement,
l'un des combats est tout pataud (celui où Valérian se bat contre
les Boulan Bathor ou les soldats). Comme c'était déjà le cas dans
Le Cinquième élément, Luc Besson cherche à créer un
univers tellement foisonnant (l'arrivée sur la Cité, la description
des différentes zones) qu'on ne voit plus aucun détail (c'était
déjà le cas, dans une moindre proportion dans le Big Market en
début de film), c'est un peu comme les églises rococo, ça en jette
plein la vue. Mais c'est écœurant et paradoxalement fort peu
nourrissant (le défilé des plats des Boulan Bathor est la métaphore
de cette gloutonnerie).
On
pourrait faire la liste des emprunts à d'autres films, qu'on pourra
qualifier d'hommages d'un fan à au cinéma de science fiction, mais
ils sont aussi la preuve d'une absence de confiance du cinéaste pour
son propre imaginaire. Besson veut absolument tout montrer au premier
plan, face caméra, au lieu de laisser de quoi explorer l’œil
curieux du spectateur, c'est là la différence majeure entre une
réussite comme Les Gardiens de la galaxie et Valérian.
Et surtout la quête de l'objet est l'unique scénario et non un
McGuffin prétexte à aussi raconter autre chose.
L'apparition
d'Alain Chabat en rasta déglingué rappelle tout autant Bandits
bandits de Terry Gilliam que celle de Richard Ng dans Detective Dee
de Tsui Hark. Le personnage de Commandeur de l'armée que joue Clive
Owen fait terriblement penser à celui de Peter Weller dans Star Trek
into darkness. Le film donne l'impression, toujours dans sa grande
gloutonnerie, de vouloir faire de chaque séquence un morceau
d'anthologie, ce qui n'empêche pas les longueurs, mais plutôt que
se concentrer sur une séquence, tout est du même niveau. Mais c'est
déjà bien bien mieux que Lucy.
jeudi 27 juillet 2017
Le Mystère Von Bülow (Barbet Schroeder, 1990)
« Ceci
était mon corps », cette simple phrase qui lance le long
monologue en voix off de l'ouverture du Mystère Von Bülow
vient, non pas d'un mort comme dans Sunset Boulevard, mais
d'une femme dans le coma. Sunny Von Bülow (Glenn Close) se présente
au spectateur mais il en sait déjà beaucoup grâce à l'incroyable
plan séquence qui affleure la côte du Rhode Island où les demeures
plus somptueuses et luxueuses les unes que les autres se succèdent.
Bienvenue dans l'aristocratie de la Nouvelle Angleterre, bienvenue
dans l'univers des Von Bülow.
Sunny
le précise, elle est dans cette chambre d'hôpital, gardée par un
policier, depuis le 21 décembre 1980, depuis qu'elle s'est écroulée
dans sa salle de bains et que son époux Claus Von Bülow (Jeremy
Irons) l'a découverte un matin. Avec son flegme tout britannique,
Claus est d'abord aller alerter Alexander (Jad Mager), son beau-fils,
né d'un premier mariage mondain de Sunny avec un noble allemand. Le
fils a appelé une ambulance. Voilà pourquoi Sunny est là, dit-elle
sur un ton détaché, non dénué d'ironie qui détonne et fait même
sourire malgré la gravité de la situation.
Entre
le 21 décembre 1980 et aujourd'hui quand se déroule le récit,
Claus a été condamné à 30 ans de prison. Assez vite, son
beau-fils et sa grande sœur Ala (Sarah Fearon), avec le témoignage
de Maria (Uta Hagen), la très dévouée bonne de Sunny, ont accusé
Claus. En cause, un flacon d'insuline trouvée dans une sacoche
noire. « But my lady is not diabetic », affirme Maria
dans un des récurrents flash-backs qui scandent le film. Elle le
réaffirme devant les juges. Mais depuis, Claus clame son innocence
et a payé une forte caution pour son procès en appel.
C'est
le début d'un duo de personnages les plus opposés possible. Claus
Von Bülow est immense, légèrement dégarni sur l'arrière du
crâne, blond, pâle, toujours tiré à quatre épingles, cigarette à
la main, et Jeremy Irons est absolument génial dans ce rôle qui lui
a valu un Oscar. Face à lui, un avocat d'Harvard, Alan Dershowitz
(Ron Silver), new-yorkais pur jus, fan de basket, séparé de sa
femme, vivant avec son fils dans une modeste maison, moustachu,
cheveux bruns bouclés. Impulsif quand Claus est toujours calme,
c'est cet homme qui va devenir son nouvel avocat.
Ses
amis, ses élèves, son fils, son ex-femme ne comprennent pas
pourquoi Dersh, comme tout le monde l'appelle, va défendre ce
bourgeois si loin de ses cas habituels, il défendaient deux jeunes
Noirs condamnés à mort. Lors de leur première rencontre dans son
appartement à la déco chargée, Claus lui dira qu'il a toujours eu
en estime le peuple juif, manière de se dédouaner des affinités
nazies de ses parents, plus tard Dersh dira à son client « Vous
êtes vraiment un homme étrange », et Claus Von Bülow de
répliquer « Vous n'avez pas idée ».
Barbet
Schroeder, en cinéaste européen à Hollywood, a l'excellente idée
de ne pas filmer le procès, genre typiquement américain plein de
codes et de rituels. Il se concentre sur les préparatifs du procès,
suit pas à pas l'équipe d'étudiants de Dersh, une douzaine de
futurs avocats issus du melting pot. L'arrivée de Claus au milieu de
cette troupe est l'occasion d'un humour noir dans un restaurant
chinois ou dans la maison de l'avocat qui prend des allures de
colonie de vacances. Claus se permet quelques blagues devant
lesquelles l'équipe rit jaune.
Cette
reconstitution de l'affaire Von Bülow est polyphonique, une
merveille de mise en scène en gigogne, en points de vue variés et
contradictoires, flash-back et flash-forward, suppositions et
convictions. Sans, bien entendu, donner un avis sur la culpabilité
de notre homme. La souveraine et subtile fluidité narrative du
Mystère Von Bülow, je ne l'avais pas repérée quand j'avais
vu le film pour la première fois, il y a de cela des années,
aujourd'hui elle m'a frappé de plein fouet et je crois que c'est
l'un des meilleurs films de Barbet Schroeder.
mercredi 26 juillet 2017
Dead zone (David Cronenberg, 1983)
Comme
Chromosome 3, j'ai souvent vu Dead zone quand j'étais
adolescent lors de ses passages télé, toujours en VF, bien entendu.
D'ailleurs les stigmates de cette VF sont encore visibles sur mon
vieux DVD pas du tout restauré, le générique est en français.
C'est le premier film que tournait David Cronenberg à Hollywood (il
reviendra assez vite au Canada pour garder son indépendance),
produit par Dino de Laurentiis, le gars qui embauchera David Lynch
l'année suivante pour Dune.
C'est
un film de facture très classique, bien sage par rapport à Scanners
et Videodrome mais David Cronenberg a eu la chance d'avoir
Christopher Walken et son regard halluciné pour jouer Johnny Smith,
gentil professeur de littérature qui enseigne et lit du Edgar Alan
Poe à ses élèves. Johnny a une jolie fiancée, Sarah (Brooke
Adams), elle aussi professeur. Le soir, il la raccompagne sagement
chez elle, tellement sage qu'il refuse de venir boire un dernier
verre et plus si affinités. Il décide de rentrer dans sa
coccinelle.
Accident
de voiture, il se fait percuter par un poids lourd. Il se retrouve
dans le coma et se réveille cinq ans plus tard dans la clinique du
Dr. Sam Weizak (Herbert Lom). Très croyants, les parents de Johnny
sont là à son réveil, la mère parle de miracle divin, le père
annonce que Sarah s'est mariée depuis. David Cronenberg aurait pu
esquisser un sous-texte sur la virginité de Johnny, raison de ses
dons de divination, mais non.
Donc
ce regard de Christopher Walken se transforme soudain, un simple
écarquillement des yeux, quand il saisit la main d'une personne et
lit en elle, son passé, son futur, son présent. C'est d'abord une
infirmière, puis son médecin qui le plonge dans la seconde guerre
mondiale, avec le docteur enfant, au milieu des bombes, remis par sa
mère à des gens qui fuient. Et bien figure-vous que Johnny réussit
à retrouver la maman. Sam Weizak est le premier à le croire.
J'ai
l'air un peu de me moquer de la gentillesse soudaine du cinéaste
mais c'est une concession obligée à Hollywood. Le récit de Dead
zone est une suite d'épisodes où Johnny Smith va utiliser son
pouvoir de vision. Le format adopté par le scénariste auquel se
plie David Cronenberg est déjà celui du feuilleton, ce qui donnera
20 ans plus tard l'idée à un autre producteur de faire une série.
Dans cette forme courte, le cinéaste perd un peu de sa densité.
C'est
le deuxième « épisode » qui est le plus réussi, qui
rassemble la forme cronenbergienne. Le décor : une ville sous
la neige, un serial killer qui ne cesse d'échapper à la police. Le
chef (Tom Skerritt) et Dodd son assistant (Nicholas Cambell)
enquêtent en vain. Ils font ainsi appel à Johnny, il hésite,
refuse puis se ravise vient les aider. Ce long tunnel sombre où un
indice aurait été laissé par le meurtrier est la métaphore du
cerveau de Johnny.
Nicholas
Campbell (déjà présent dans Chromosome 3, l'assistant du
psychiatre) est le personnage dont je regrette le plus qu'il ne soit
pas mieux dessiné, que le film ne soit pas plus consacré à son
histoire. Comme celle de Johnny, la mère de Dodd est une bigote, et
elle sait que son fils est ce serial killer. Son suicide est l'une
des plus scènes du film, évidemment atroce, où silencieusement
Dodd se plante une paire de ciseaux dans la bouche et le cerveau.
Le
caractère fantastique et horrifique (bien édulcoré) révèle la
gangrène qui touche les institutions. Critique de la religiosité,
puis critique dans le troisième épisode des élites financières et
politiques. Un homme d'affaire veut forcer son fils à faire du
hockey sur glace, dans ce gamin, Johnny Smith se retrouve et l'ouvre
à la littérature tout en lui évitant une mort certaine. C'est
enfin Martin Sheen en politicien annonçant déjà Donald Trump qui
conclue le film.
mardi 25 juillet 2017
Absent (Marco Berger, 2011)
Une
poussière dans l’œil, à moins que ce ne soit un bris de verre de
la fenêtre cassée dans les vestiaires. Martin (Javier de Petrio) ne
sait pas pourquoi il a mal, mais son entraînement à la piscine est
interrompu. Il faut aller à l'hôpital. Il remet son uniforme de
lycéen et son prof, Sebastian (Carlos Echevarria) le conduit dans sa
voiture. L'ophtalmo ne trouve rien, Martin peut rentrer chez lui,
Sebastian va le ramener chez sa grand-mère chez qui il vit.
Martin
a laissé son téléphone à la piscine, Sebastian prête le sien, la
grand-mère ne répond pas. Ils vont là-bas, personne n'est là et
Martin n'a pas ses clés, il les a laissées dans son sac et le sac,
là aussi, est à la piscine, confié à son camarade de classe Juan
Pablo (Alejandro Barbero). Il ne peut pas le laisser à la rue,
Sebastian héberge, pour la nuit, Martin chez lui. Il dormira sur le
canapé. Sebastian annule le rendez-vous qu'il avait prévu avec
Mariana (Antonella Costa).
Le
prétexte dans Absent
à lancer la fiction est encore plus minimaliste que dans Plan
B, une autre histoire de
manipulation où Martin tente de jeter son dévolu sur son
professeur, de tisser une toile d'araignée composée de multiples
petits mensonges pour s'incruster chez lui. Le visage de Sebastian
reste abasourdi, totalement interdit devant ce qui lui arrive,
anesthésié par les sourires et l'aplomb du jeune homme.
Marco
Berger choisit un adulte pour jouer son adolescent qu'il observe sous
toutes les coutures, les premières minutes détaillent son anatomie,
des gros plans sur ses pieds, jambes, mains, épaules, yeux,
entre-jambe. Une approche clinique de son corps qui file rapidement
vers le voyeurisme. Il prend du plaisir à filmer les corps à moitié
nus de ses acteurs et quoi de mieux qu'une piscine pour déshabiller
des jeunes hommes.
C'est
la tension sexuelle entretenue par Martin qui reste le plus fort dans
Absent.
Les regards échangés avec Sebastian sont filmés comme une chasse à
l'homme, un jeu du chat et de la souris et s'approchent du thriller.
Martin passe comme une ombre dans les pièces de l'appartement de
Sebastian. Ils ne se toucheront jamais, sauf dans ce coup de poing
que donne le professeur à son élève quand il comprend ses
mensonges.
La
présence du jeune homme est un poids, le regard baissé de
l'enseignant est lourd, il ne voit pas Martin assis au fond de la
classe, avachi sur son bureau et quand il lève la tête, c'est un
regard plein d’ambiguïté, arrogance et bonheur mêlés, fier de
son coup mais pour lequel il va s'excuser. Le trouble en est grandi,
Sebastian est incapable d'en parler à Mariana, Juan Pablo ne
comprend pas pourquoi Martin ne drague pas leur jolie camarade de
classe.
L'absence
de Martin, après un bête accident fatal, permet de mener le récit
vers le fantastique, Sebastian imagine ce qui se serait passé s'il
avait eu d'autres réactions, s'il avait accepté de l'embrasser,
s'il avait succombé à son charme. Le fantôme de Martin tourne
autour de lui, physiquement, sans que Sebastian ne puisse plus rien
faire, son souvenir se modifie, s'amplifie et libère enfin ses
désirs si longtemps enfouis.
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