lundi 17 avril 2017

Moi, un Noir (Treichville) (Jean Rouch, 1957)

J'ai profité de ma pause d'écriture d'une douzaine de jours pour aller voir quelques films rares au Festival Play It Again, entre autres Moi, un Noir (Treichville) de Jean Rouch, 60 ans d'âge, film mêlant adroitement fiction et documentaire. L'ethnologue français filmait déjà l'Afrique depuis une dizaine d'années, quand les pays qu'il visitait étaient encore colonies françaises. Dans Moi, un Noir, il tourne, en couleur, caméra à l'épaule, dans le quartier de Treichville d'Abidjan, la capitale de la Côte d'Ivoire. Treichville est une ville nouvelle, à la française, avec ses immeubles modernes, ses rues et avenues rectilignes (qui ont toutes des numéro, « comme à New York ou Chicago »). Moi, un Noir serait une volonté de faire un western africain avec ses deux héros au milieu d'une ville qui vient tout juste d'émerger de terre.

Dans ces quartiers neufs, Jean Rouch (qui scande son film avec chaque nouveau jour comme autant de chapitres) suit deux amis. Ils sont Nigériens, des migrants venus chercher un peu de travail à Abidjan et qui errent dans les rues. Moi, un Noir n'est pas filmé en son direct, c'est une voix off qui se fait entendre. Les acteurs se donnent des noms connus. Oumarou Ganda sera Edward G. Robinson (et le personnage principal du film) et parfois Edward G. Sugar Ray Robinson. Petit Touré sera Eddie Constantine. Mademoiselle Gambi sera Dorothy Lamour. Cette manière de se donner des noms connus évoque celle de Jean-Luc Godard dans ses films (ce sera le cinéaste suisse qui écrira sur Moi, un Noir dans les Cahiers du cinéma), on sent l'influence de Jean Rouch sur son cinéma.

Les enseignes des commerces ont des petits airs de Paris, ce restaurant annonce le programme : « Aliment superbe et bon service ». Eddie Constantine fait le bonimenteur pour vendre son tissu à Dorothy Lamour. « Je vais à la mission catholique pour visiter les jeunes filles qui viennent. Je suis pas catholique, je suis musulman. » Et Plus tard, Robinson dira d'elle, tandis qu'elle se fait draguer par un Blanc « elle cause avec moi des mots d'amour, elle sortira sa robe puisque j'aime voir ses nichons. » Tous vont se baigner dans la rivière, un moment de liberté pour oublier qu'ils avaient été enrôlé pour faire la guerre en Indochine, envoyer les Nigériens pour combattre les Viet-minhs quelle idée, et ils rejouent à la guerre comme une absurdité de plus. Le ton était cru en 1957, un ton vrai et farfelu qui conserve toute sa saveur.

Cette liberté fictionnelle permet toutes les facéties, le film est d'une grande énergie, le montage est vif. Les deux amis ne cessent jamais de se déplacer, l'un plutôt bien habillé (à l'occidental), l'autre portant une chemise toute déchirée dans le dos. Ils racontent leur quotidien dans Abidjan, le coût élevé de la vie, le chômage, la drague, les bains dans la rivière, c'est la partie documentée du film. Un état des lieux de la Côte d'Ivoire se dessine quelques mois après l'indépendance, c'est un document précieux et osé. Les deux hommes n'ont pas leur langue dans leur poche (on parle vrai et on discute beaucoup), et Jean Rouch n'a pas les yeux fermés, il scrute les corps des femmes et des hommes. Le film n'a pas vieilli. Ça me donne envie de me replonger dans l’œuvre du cinéaste dont on pourra fêter le centenaire de la naissance ce 31 mai.



















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