lundi 3 avril 2017

Le Dernier Voyage de Madame Phung (Nguyen Thi Tham, 2014)

A l'occasion de la projection du Dernier voyage de Madame Phung, j'ai donné une conférence, à l'Ecole Art et Design de Grenoble sur un siècle de travestissement au cinéma par le prisme du monde du spectacle. En 12 films.

Charlot machiniste (Charlie Chaplin, USA, 1916)
Edna, une jeune femme cherche à devenir actrice mais personne ne veut l'embaucher, elle se travestit en homme et elle est prise pour un machiniste du studio de cinéma. Charlot l'embrasse en public mais son patron croit que ce sont deux hommes. Le patron s'en va de la pièce avec des gestes efféminés. Charlot et Edna s'en moquent, ils continuent de s'embrasser.

La Vénus blonde (Josef von Sternberg, USA, 1932)
Marlene Dietrich porte un costume d'homme, nœud papillon et haut de forme, pour reconquérir le cœur de son amant joué par Cary Grant, dans un cabaret. Auparavant, elle avait été rejetée par son mari, privée de son fils et interdite de travail. Que ce soit Cary Grant, dont la vie privée et la sexualité a longtemps été sujette à discussion, qui se laisse séduire par Marlene travestie en homme en dit long sur le caractère révolutionnaire du film.

Certains l'aiment chaud (Billy Wilder, USA, 1959)
Deux musiciens témoins d'un crime de la pègre décident d'embarquer dans un jazz band uniquement composé de femmes. Ils se travestissent pour intégrer le groupe et échapper aux tueurs. L'un tombe amoureux de Marilyn Monroe l'autre se lie avec un capitaine de marine, ce qui vaudra cette réplique quand le marin découvre que sa fiancée est un homme « nobody's perfect ».

La Cage aux folles (Edouard Molinaro, France, 1978)
Longtemps considéré comme un film caricatural et vulgaire, La Cage aux folles affirme cependant, 4 ans avant la dépénalisation de l'homosexualité en France, que Zaza Napoli incarné par Michel Serrault, travesti flamboyant et kitsch, est bien plus libre, vivant et amusant que le député ultra conservateur que joue Michel Galabru. 40 ans plus tard, on dirait que rien n'a changé.

Victor Victoria (Blake Edwards, USA, 1982)
Dans les années folles, une chanteuse sans le sou décide de passer, travestie, une audition pour se faire engager comme chanteur. Victoria devient Victor et une grande vedette de cabaret. Son travestissement va remettre en cause toutes les certitudes amoureuses et sexuelles des autres personnages.

Torch song trilogy (Paul Bogart, USA, 1988)
Harvey Feinstein raconte sa propre vie d'artiste travesti dans le New York des années 1980, les relations avec ses collègues, les moqueries de certains spectateurs, ses amours contrariées, les rapports avec sa mère. Toujours émouvant et drôle et vice versa.

Talons aiguilles (Pedro Almodovar, Espagne, 1991)
Juge le jour et chanteuse de cabaret la nuit, telle est la vie du personnage de Miguel Bosé. Pedro Almodovar a toujours aimé les travestis, lui-même en jouait un dans son deuxième film Le Labyrinthe des passions en 1982. Dans les premiers films d'Almodovar, les travestis apparaissent comme appui humoristique puis sous un jour tragique comme dans Tout sur ma mère en 1999, mais toujours en contrepoint politique.

Adieu ma concubine (Chen Kaige, Chine, 1993)
Impossible de séparer l'acteur de son rôle. Leslie Cheung était l'un des très rares acteurs chinois gay et il s'investit totalement dans son personnage de chanteur d'opéra chinois où il devient la concubine Yu (le film se déroule dans les années 1930) jusqu'à tomber amoureux de son « frère » de scène. Palme d'or 1993, Adieu ma concubine explore le trouble identitaire et la question du genre.

Priscilla folle du désert (Stephan Elliott, Australie, 1994)
Au beau milieu du désert australien, trois sublimes créatures de la nuit débarquent pour mettre un peu de baume au cœur des habitants peu habitués aux paillettes, au strass et aux talons hauts. Depuis plus de 20 ans, le cinéma n'a pas réussi à égaler la flamboyance de Priscilla, ses tenues, ses tubes et ses répliques ont mis à plat tous les clichés sur les travestis et sur les homosexuels, aussi culte que The Rocky horror picture show et qu'un film de Divine, l'actrice fétiche de John Waters.

Tokyo Godfathers (Satoshi Kon, Japon, 2003)
Rare cas de film d'animation à traiter du travestissement, Tokyo Godfathers voit trois SDF japonais devenir une famille quand ils découvrent un bébé abandonné. La quête de la mère du nourrisson est liée à la réconciliation des personnages avec leur passé pour envisager un futur serein. Hana, « homo travesti » comme il se présente rêve de devenir maman et retrouve la paix dans son ancien cabaret.

Beautiful boxer (Ekachai Uekrongtham, Thaïlande, 2003)
C'est une histoire vraie, celle d'un boxeur thaïlandais qui deviendra une femme. Entre la violence de la boxe et la douceur de la chanteuse de cabaret, c'est tout le parcours d'un homme en quête de son genre et de sa personnalité. Immense succès en Thaïlande qui avait donné quelques années auparavant le délirant Satreelex sur une équipe de volley trans.

Le Dernier voyage de Madame Phung (Nguyen Thi Tahm, Viet Nam, 2014)
Road movie intimiste sur une troupe d'artistes de fête foraine, le premier long métrage de cette réalisatrice vietnamienne sur ces gay travestis qui apportent leur spectacles dans les provinces reculées du Vietnam. Madame Phung, la cinquantaine, dirige tout ce petit monde d'un gant de velours. On est en immersion, on suit les préparatifs du chapiteau, les séances de maquillages, la confection des costumes (des robes vertes et jaunes que le couturier est très fier de montrer), les chansons sur scène, les ventes de tickets de loto, les attractions foraines (ce jeu avec le cochon d'Inde).
Le public est d'abord loin, éloigné de la scène, puis les artistes travestis commencent à s'y rendre. L'accueil est plutôt bon-enfant mais, petit à petit, certains spectateurs se font plus taquins : cet homme au grand sourire qui veut appeler le travesti "Monsieur", cet autre qui veut bien acheter 4 tickets de lotos s'il a un rendez-vous après le show. Et la nuit, ce sont des bandes de jeunes qui viennent emmerder la troup, lancer de pierres et même incendie en fin de film. Ironiquement, on entend dire que la police "défend les droits des homosexuels " dans la République socialiste du Vietnam, libre et indépendante (sic).
On découvre plein de personnages (mention à Tata Hang, fan de pop vietnamienne) mais c'est madame Phung qui attire l'attention. Madame Phung a le verbe haut, la formule à l'emporte pièce mais elle ne tient pas l'alcool. Elle veut retourner dans son village natal mais l'accueil est désastreux. Elle si joviale en début de film, le sourire toujours sur les lèvres, se recroqueville plus le film avance, cernée par les ennuis, la crainte de tout perdre et la fatigue. Témoignage unique sur une troupe unique, on apprend que Madame Phung est mort quelques semaines après la fin du tournage.

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