lundi 13 mars 2017

Certaines femmes (Kelly Reichardt, 2015)

J'ai pris mon temps avant d'aller voir Certaines femmes. Les Cahiers du cinéma avaient annoncé il y a quelques mois que le film ne devait sortir que directement en DVD, qu'il ne serait projeté que dans des festivals (notamment à celui de La Roche Sur Yon), et finalement le voici en salles, comme les quatre précédents films de Kelly Reichardt (Old joy, Wendy & Lucy, La Dernière piste et Night moves). Le premier plan prend aussi son temps, un train de marchandises, sirène hurlante, part du fond du cadre pour arriver au premier plan, une sorte d'effet des frères Lumière, le train en gare de Livingston, Montana.

Ce bruit des trains est omniprésent dans la bande son de la première partie, un son envahissant, entêtant mais que personne ne semble plus remarquer dans cette petite ville. Le premier récit est consacré à Laura (Laura Dern). Dans son appartement, au petit matin, elle est en culotte et soutien gorge, à gauche du cadre, à droite, un homme nu (James Le Gros) se rhabille. Ils sont séparés par le mur. Il va s'en aller (on le retrouvera dans le deuxième récit), elle va aller travailler, elle est avocate et son client l'attend (Jared Harris). Dès qu'elle grimpe l'escalier, tenant son chien en laisse, Fuller, le client, la suit comme un petit toutou.

Le deuxième récit est lancé au bout d'une bonne demi-heure sans transition. On a quitté la ville bruyante, on n'entend plus le train. Gina (Michelle Williams) revient de son footing et pénètre dans une tente où elle retrouve son mari (James Le Gros) et sa fille (Ashlie Atkinson) avec laquelle ses rapports sont tendus. D'ailleurs, avec son époux aussi c'est un peu compliqué, d'autant que le spectateur sait qu'il est l'amant de Laura. Gina veut rendre visite à un vieil homme qui habite en ermite dans une petite maison, elle veut acheter des pierres en grès qui serviront à la maison que Gina et son mari veulent construire au beau milieu de la nature.

Le dernier récit, le plus long, alterne scènes nocturnes et diurnes. Elizabeth Travis (Kristen Stewart) donne des cours de droit scolaire à des enseignants de la ville. Une jeune femme, Jamie (Lily Gladstone) vient assister, en catimini, à ces cours. Elizabeth cherche un endroit où dîner, Jamie la conduit dans un restaurant. Elizabeth mange, Lily se contente d'un verre d'eau. Deux fois par semaine, la routine se répète tout comme celle du travail de Lily qui s'occupe dans un ranch. Elle soigne des chevaux, leur donne à manger, portant le foin sur la neige avec un trial, suivi par un petit chien. Le visage de Lily reste énigmatique, elle ne parle pas beaucoup, elle regarde Elizabeth.

Rien, a priori, ne relie ces trois récits si ce n'est qu'ils se déroulent dans cette ville et dans la campagne environnante, quelques rares croisements de personnages d'un récit à l'autre. Le film tient par le ton mélancolique, mais non dénué d'humour (le burlesque lent de la prise d'otage nocturne de Fuller, les questions égoïstes des profs au cours de droit scolaire) et par les rapports complexes que les personnages entretiennent entre eux. Laura avec son client, Gina avec sa famille et le vieil homme, Lily avec Elizabeth et, hors champ, Elizabeth avec ses patrons qui l'envoie faire des kilomètres, pendant quatre heures à travers les montagnes.

Certaines femmes, c'est « il était une fois dans le Montana », sa neige, ses montagnes, ses grandes distances. La léthargie de la neige n'empêche pas la tempête sous un crâne. La petite musique de Kelly Reichardt se plaît à vouloir prendre à rebours le proverbe « plus c'est excessif, plus c'est insignifiant » (c'était ce qui m'avait le plus frappé et plu dans Old joy). L'absence de musique (sauf en toute fin de film) est rare dans le cinéma américain, surtout indépendant. C'est ce que je trouve le plus agréable. Le silence est un luxe au cinéma, les dialogues sont susurrés avec douceur, les histoires anti-spectaculaires sont dénuées de tout cliché.

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