vendredi 17 février 2017

Brothers of the night (Patric Chiha, 2016)

Le beau Danube n'est pas seulement bleu dans cette Vienne que filme Patric Chiha, il est aussi rouge et vert. Ces trois lumières se reflètent sur le fleuve, tout comme dans les autres lieux où vivent la dizaine de jeunes hommes de Brüder der Nacht (ah, ce titre en anglais Brothers in the night pour un film autrichien, quelle idée débile). Enfin, le cinéaste filme peu Vienne. Quelques plans en début et en fin de film, le fleuve et la gare routière.

Tout se concentre sur le Café Rüdiger, QG de ces jeunes Bulgares, sa devanture illuminée de néons, les rues adjacentes où ils se prennent en photo devant des voitures. C'est à cet endroit, dans ce café qu'ils se retrouvent, qu'ils jouent au billard, qu'ils fument clope sur clope, qu'ils trinquent. Tout le film se passera pendant la nuit, au crépuscule, ils sont guillerets tous debout, au milieu de la nuit, ils s'assoient, à l'aube, ils sont épuisés et commencent à somnoler.

Et ils ne cessent jamais de discuter. La polyphonie des langues est déroutante. Comme les trois couleurs qui éclairent la nuit, on distingue (si l'on fait bien attention au débit, au rythme) trois langues. L'allemand balbutiant bourré de fautes, le bulgare, et un dialecte Rom. Plus ils maîtrisent la langue, plus ils parlent vite. Et avec ces trois langues, ils parlent de leur passé en Bulgarie, de leur avenir de retour au pays, et du présent à Vienne.

Ce présent consiste à trouver de quoi gagner sa vie, en l'occurrence la prostitution. Comme on n'est pas dans un reportage sensationnaliste de M6, Patric Chiha refuse de montrer les passes, tout juste une douche dans la « cabine » du Rüdiger. Mais les jeunes hommes, à peine adultes, ne parlent que de ça, ils se vantent chacune de gagner plus d'argent que l'autre, ils comparent leurs gains « moi, j'ai fait 700 € » dit l'un, « moi, j'ai réussi à tirer 1070 € » répond l'autre, en racontant le détail de ses services.

Les clients sont des hommes, on en voit deux dans le café, plutôt âgés, plutôt gros, et les négociations vont bon train : les tarifs, des plans à trois, chez toi ou dans la « cabine ». Tiens, voici une nouvelle recrue, le petit frère d'un habitué qui se lance dans la prostitution. Tout le monde sourit, tout le monde plaisante, tout le monde s'agite. La musique est à fond, c'est un jeu de chaises tournantes, à qui agrippera ces vieux clients autrichiens.

Mais attention, comme le dit l'un d'eux, ils ne sont pédés, d'ailleurs, ils sont mariés, l'épouse est restée en Bulgarie, parfois avec les enfants. Les photos de ce passé abandonné défilent sur les téléphones. Au pays, personne ne sait ce qu'ils font en Autriche. « Ils pensent qu'on mendie ». Et de retour, ils retrouveront femmes et enfants, avec plein d'argent, ils auront une voiture, et les célibataires « s'achèteront » une femme jeune et vierge.

Le cinéaste ne s'embarrasse pas de savoir s'il fait un documentaire. Des scènes jouées scandent les longues discussions. Ici, un garçon travesti alpague un marin, on est dans Querelle. Là, on grimpe sur une grosse moto, on est dans Les Rencontres d'après minuit. Le film suit surtout Stefan, celui qui n'arrête jamais de fumer, qui raconte qu'il s'est marié à 16 ans, qui s'endort tendrement. Et le film finit sur tous ces jeunes hommes qui dansent éclairés par une boule à facette. Ils jettent des regards amusés à la caméra ravis d'avoir parlé de leur vie.

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