vendredi 13 janvier 2017

Tootsie (Sydney Pollack, 1982)

Au beau milieu d'une répétition du soap opera dans lequel joue Dorothy Michaels, l'actrice se tourne énervée vers le réalisateur Ron Carlisle qui vient de s'adresser à elle et lui répond vertement « Ron ? J'ai un prénom, c'est Dorothy. C'est pas Tootsie, ou Toots, ou chérie ou bébé ou poupée. Non, Dorothy. Alan c'est toujours Alan, Tom toujours Tom et John toujours John. Moi aussi j'ai un prénom, c'est Dorothy. D-O-R-O-T-H-Y. » Cette histoire de prénom dans l'une des scènes les plus emblématiques de Tootsie est d'autant plus ironique que Dorothy Michaels n'existe pas, elle ne s'appelle pas Dorothy, ni Tootsie, mais Michael Dorsey et bien entendu les deux personnalités sont incarnées avec bonheur et jubilation par Dustin Hoffman (son meilleur rôle, oui, messieurs dames).

Avant de revêtir la robe de vieille fille et les lunettes qui lui mangent le visage, Michael vit déjà une double personnalité. Dans le générique, on le découvre se maquillant, non pas pour se travestir en femme, mais pour poser une fine moustache. Michael est un acteur raté, ou plutôt, il court les castings de Broadway. Chaque fois il ne convient pas, trop petit, trop grand, trop ceci, pas assez cela. Pour gagner sa vie, il a deux boulots, le premier est noble, il enseigne le théâtre, le deuxième alimentaire, il bosse dans un restaurant avec son colocataire Jeff (Bill Murray). Mais en vérité si Michael Dorsey ne trouve pas de travail ni au cinéma, ni à la télé, ni au théâtre, c'est parce qu'il est insupportable.

Son agent artistique depuis 20 ans, George Fields (Sydney Pollack) énumère avec cruauté tous les caprices de Michael que ce dernier tient pour des exigences artistiques. « Quand tu jouais une tomate pour une pub, le tournage a pris deux jours de retard parce que tu n'as pas voulu t’asseoir », et Michael de lui rétorquer qu'il est illogique qu'une tomate puisse s’asseoir. Plus personne ne veut travailler avec lui mais le comédien va prouver à son agent qu'il peut bosser. Ainsi, il pourra aider à la production de la pièce qu'écrit Jeff, lui aussi un velléitaire, mais dans un autre genre, il ne cesse de récrire et n'arrive pas à finir cette pièce. Michael aide une de ses élèves Sandy (Teri Garr) à répéter pour ce rôle de Dorothy, mais elle ne le décroche pas. Michael va prendre sa place, devenir une autre femme et obtenir un contrat. Enfin du boulot !

Je n'avais pas revu Tootsie depuis des années et le film n'a pas vieilli, il est drôle et s'avère d'une grande pertinence non seulement sur l'univers des séries télé, milieu rarement filmé, parce qu'ingrat, de la soupe pour spectateurs, caricaturé avec humour et crédibilité, mais aussi sur la sexualité. En début de film, Michael est montré, lors de sa fête d'anniversaire, comme un prédateur sexuel. Plus précisément un dragueur, mais franchement minable. Toutes les filles fuient devant son charme qu'il imagine irrésistible. Il jette finalement son dévolu sur Sandy au tempérament instable (elle lui fait des scènes de ménage au téléphone parce qu'il oublie leurs rendez-vous). A partir du moment où Michael devient Dorothy et que Dorothy devient Emily, son personnage de chef de la clinique dans le soap opera, tout change, tout se dérègle, tout se dédouble.

Il remarque sa collègue Julie (Jessica Lange) qui joue l'infirmière légère (« I'm the slut », je suis la salope, dit-elle à Dorothy) qui sort avec Ron (Dabney Coleman) le réalisateur. Et évidemment Michael tombe amoureux de cette pimpante blonde au sourire ravageur. Julie devient proche de Dorothy, elles répètent leur texte ensemble. Julie présente son père Les (Charles Durning) à Dorothy et Les, veuf, s'entiche de Dorothy. Et le vieux beau de la série, acteur médiocre incapable d'apprendre son texte, John Van Horn (George Gaynes) ne peut pas s'empêcher de vouloir séduire Dorothy, exactement comme le faisait Michael lors de son anniversaire. Pendant ce temps, Sandy est persuadée que Michael est gay, Julie pense que Dorothy est lesbienne et John Van Horn croit que Jeff est le petit-ami de Dorothy.

L'emballement du récit se développe sur plusieurs tons. L’ambiguïté sexuelle entre les personnages relève du théâtre de boulevard, tout est quiproquos, portent qui claquent, engueulades et dialogues de sourds. Le soap opera est une hilarante parodie de la télévision américaine de bas étage et lorsque Dorothy improvise ses répliques au grand dam des acteurs et de l'équipe de tournage, l'humour est démultiplié. Qui plus est, son personnage devient une figure du « féminisme », un féminisme à la sauce Hollywood illustré dans l'habituelle scène des couvertures de magasine. La romance entre Julie et Michael est plus classique mais jamais sur le ton de la comédie. C'est l’imbrication de ces éléments qui permet, comme Victor Victoria sorti la même année sur un thème proche, de rester si recommandable.

























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