jeudi 29 septembre 2016

J'ai aussi regardé ces films en septembre 2

Free State of Jones (Gary Ross, 2016)
Tiré d'une histoire vraie (1). Dans ce film du réalisateur du premier Hunger games (le meilleur de la franchise) et de Pleasantville, on apprend pas mal de choses sur la Guerre de Sécession. D'abord que certains sudistes, tel ce personnage de Newton Knight qu'incarne Matthew McConaughey, sont opposés à la guerre et à l'esclavage. C'est la raison de sa désertion. Il apprend à ses amis soldats que le gouvernement confédéré exempte d'armée ceux qui possèdent des esclaves. Une guerre pour les riches et non pour l'honneur. On apprend que ce sont les Démocrates qui ont instauré les lois de ségrégation dans les états du sud (ceci, Selma le rappelait aussi). Or notre héros est Républicain, comme l'était le président Lincoln. On apprend aussi, qu'une fois l'esclavage aboli, ces états ont inventé une loi sur l'apprentissage obligatoire pour faire travailler les Noirs sans les payer. Et enfin, on apprend l'existence de cet état libre de Jones fondé, non sans mal, par des pacifistes / abolitionnistes / adversaires de la ségrégation au beau milieu des marais de l'état du Mississippi. Le film fonctionne sur le réalisme le plus cru possible. Un peu trop long mais pas mal.

Blair witch (Adam Wingard, 2016)
Tiré d'une histoire vraie (2). Ce dernier avatar du film en mode found footage repose sur une aberration initiale : l'un des personnages cherche à retrouver sa sœur Heather, 20 ans après, l'une des protagonistes du Projet Blair witch (1999). Aberration parce que du coup, le film se place comme une suite directe et ne prend même pas la peine de ménager du suspense sur les raisons de cette troisième visite dans la forêt maudite. On a du mal à croire qu'il ait réussi à embarquer trois de ses potes en leur disant « hey, ma sœur est vivante depuis 20 ans, allons vite la retrouver dans une forêt infestée par une sorcière ». Pour le reste, on double les personnages (de 3 à 6), on multiplie les caméras (2 en 1999, un drone, des caméscopes, des go-pros et des caméras oreillettes en 2016). Toutes ces images donnent encore plus mal à la tête, il y en a beaucoup trop. Le film détourne l'idée de 1999 où tous tournaient en rond, là, c'est le temps qui se dérègle. Pour certains, le trip dure des jours, pour d'autres quelques minutes. Mais peut-on encore croire à un film found footage ?

La Danseuse (Stéphanie Di Giusto, 2016)
Tiré d'une histoire vraie (3). Dans mon texte sur les films Lumière, j'avais mis des images d'une danse serpentine filmée en 1897. C'était Loïe Fuller, l'héroïne de La Danseuse. Soko lui prête ses traits avec le souffle haletant à chaque dialogue, nouvel écueil du cinéma réaliste français qui veut donner de l'émotion à chaque instant. Mademoiselle Fuller est l'inventrice de cette superbe danse, épuisante mais hypnotique, que la réalisatrice s'échine à ne jamais filmer in extenso en alternant plans d'ensemble où l'on peut bien voir la magie du numéro et plans en immersion comme en caméra subjective. La première partie du film est passionnante. Fuller est filmée en plein processus de création et, pour une fois dans un biopic artistique, tout est tangible. La financement, la douleur, l'inventivité. Dans la deuxième partie, c'est la confrontation avec Isadora Duncan (que joue Lily-Rose Depp) qui est au centre du récit. Tout est appuyé, convenu et superficiel.

mercredi 28 septembre 2016

Kaboom (Gregg Araki, 2010)

Hier soir, j'ai regardé Kaboom en DVD et je ne reconnaissais pas le film. Pour dire vrai, c'était Smiley face avec Anna Faris que je pensais voir. J'avais stupidement confondu deux films de Gregg Araki. Kaboom n'est pas vraiment une comédie, contrairement à Smiley face, et bonne nouvelle, j'avais tout oublié du film depuis que je l'avais vu au cinéma à sa sortie. J'ai ainsi redécouvert toute l'histoire. Un Gregg Araki, ça a toujours un peu les mêmes éléments, des couleurs vives et saturées, des mecs tatoués à moitié nus et de la drogue.

Là, le mec totalement nu qui ouvre le film s'appelle Smith (Thomas Dekker), nom de famille ultra commun, à moins que ce ne soit son prénom. On ne le saura jamais. Smith avec ses grands yeux bleus qui fixent le spectateur raconte son rêve (américain) récurrent. Il est dans un couloir, il croise sa maman, sa meilleure amie et deux filles, une rousse et une brune jamais vues de sa vie et un vieil homme. Au fond du couloir, une porte sur laquelle il peut lire le chiffre 19, derrière la porte une grande pièce et une poubelle. Tout le récit tend à résoudre l'énigme de ce rêve.

Et là il se réveille en sursaut dans sa petite chambre d'étudiant. Le bleu de la nuit lui permet de voir Thor (Chris Zylka), son cothurne, qui pénètre dans la chambre. Thor enlève son t-shirt, puis son froc, et propose de venir s’asseoir sur le lit de Smith. Il est plutôt étonné de cette soudaine et inespérée proximité avec son grand colocataire blond. Ils sont près de se rouler un patin quand Smith se réveille à nouveau et Thor rentre, se déshabille mais il est là pour coucher avec une fille sans prendre garde à Smith qui observe ce coït sans tendresse.

Dans cette ouverture de Kaboom, Gregg Araki nous dit donc que Smith est gay et que Stella (Haley Bennett), sa meilleure amie depuis le lycée est lesbienne. Jeune femme blonde à l'air blasé, Stella se moque de Smith et de son fantasme pour le stupide Thor. Elle-même a flashé sur la brune et bien nommée Lorelei (Roxane Mesquida). Et c'est parti pour une soirée étudiante, la marque de fabrique de Gregg Araki. Cette fois moins flamboyante que celle de Nowhere par exemple, sans ces créatures beefcake que le cinéaste a toujours aimé montrer.

Avec ses grands yeux écarquillés, Smith croise, à cette soirée, les deux filles inconnues de son rêve. La grande rousse vomit sur ses chaussures. Il découvrira plus tard qu'elle s'appelle Madeleine O'Hara (Nicole LaLiberte) et que la brune est Lorelei. Après avoir ingurgité un cookie en forme d'étoile bourré de drogue, il rencontre London (Juno Temple) dans les toilettes. Ils causent trois minutes. Et ils finissent tous les deux dans la piaule de Smith à baiser, non sans mal. Au même moment, Stella couche avec Lorelei qui s'avère être une sorcière.

A partir de ce moment, Kaboom s'emballe et se lance dans le péché mignon de Gregg Araki, le fantastique débridé. La fille rousse est pourchassée par des hommes portant des masques d'animaux. Smith, Stella et London mènent l'enquête pour démêler les fils. C'est bien entendu l'inverse qui se produit, plus ils avancent plus tout cela devient obscur. Pratiquement tout le reste du film se déroulera d'ailleurs de nuit, dans les chambres d'étudiant, sur le campus universitaire composé de grands bâtiments en métal et verre, froids comme la mort.

Les personnages secondaires ne manquent pas, chacun représente un archétype que le film se fera un plaisir de faire exploser. Le « Messie » (James Duval) est-il vraiment un fumeur de joints ? Rex (Andy Fischer-Price), alter ego de Thor est-il stupide ? Oliver (Brennan Mejia) est-il un stalker ou drague-t-il gentiment Smith ? Pourquoi Hunter (Jason Olive), rencontré sur une plage nudiste, couche avec Smith ? Et Nicole (Kelly Lynch) la mère de Smith est-elle aussi occupée qu'elle le prétend à chaque coup de téléphone à son fils ?

Kaboom répondra à toutes ces questions et même à quelques autres. Le film de Gregg Araki semble essentiellement vouloir syncrétiser tous les teen-movies gay des années 2000. Il en fait le deuil ironique. On passe des Lois de l'attraction de Roger Avary aux séries Z de David DeCoteau en passant par Short bus, les Eating out de Q. Allan Brocka et les propres films de Gregg Araki. Ce petit monde illusoire de jeunes et musclés garçons et de jolies jeunes femmes, tous bien minces, bien souriant, bien riches, bien insouciants, et bien, Gregg Araki décide de le faire exploser, littéralement.




























mardi 27 septembre 2016

Kubo et l'armure magique (Travis Knight, 2016)

C'est assez chouette de se dire qu'un jeune cinéaste américain s'inspire, pour son premier film, de légendes japonaises (qu'elles existent ou pas n'a pas d'importance) sans passer par les cases chanson R'nB, gag faisant référence à la pop culture américaine et l'actualité. Kubo et l'armure magique est d'une certaine manière l'anti Kung-fu panda. J'ai du mal à déterminer quel mode d'animation a été utilisée, mais il faut rester au générique de fin pour découvrir que certains éléments ont été créés en marionnette (notamment ce monstre squelettique).

Kubo est un gamin qui vit avec sa mère dans une grotte lugubre. La séquence d'ouverture laisse supposer qu'ils ont fait naufrage, emportés par une mer démontée. Kubo n'était qu'un nourrisson alors mais déjà quelque chose cloche. Son œil gauche a disparu. Son grand-père lui aurait enlevé. Comment un aïeul pourrait faire un geste aussi détestable ? On apprend immédiatement que ce parent veut lui arracher l'autre œil. On saura plus tard pourquoi. Je vais tenter de ne pas raconter la plupart des tournures du récit. Il faut aller voir le film.

Tout est justement question d'histoire, de conte, de légende dans Kubo et l'armure magique. L'enfant descend de sa grotte au village pour se mettre au milieu de la place du village. Encouragé par une vieille dame qui fait l’aumône, il commence un récit épique sur un samouraï valeureux qui combat des monstres. La superbe idée est de rendre hommage à la chronophotographie de Etienne-Jules Marey avec cette ronde de papiers qui s'anime comme dans cet ancêtre du cinématographe. Puis, ce sont des origamis qui prennent forme pour les personnages de l'histoire que narre Kubo.

Dès que les rayons du soleil se dissipent, Kubo doit rentrer dans sa grotte. La nuit et la lune lui portent malheur. C'est une grande déception pour ses auditeurs et du suspense pour les spectateurs du film. Sa mère l'attend et lui rappelle qu'il ne doit pas rester la nuit au village. Elle lui rappelle aussi les règles essentielles : il doit toujours avoir sur lui sa petite amulette en forme de singe et revêtir le kimono rouge de son père sur lequel est dessiné un scarabée. Jusqu'à présent, Kubo a respecté ces règles. Et un soir, celui de la fête des ancêtres, il est pris au piège.

Dès lors, le film se lance dans son récit propre. Deux sœurs longilignes au visage blanc et masqué viennent le chercher pour prendre son œil droit. Dans leur furie, elles détruisent le village. C'est le début d'une longue marche pour Kubo. L'amulette prend vie et se transforme en singe qui parle. Ce singe, qui est une femelle, au grand étonnement du gamin, ne cesse de donner des conseils à Kubo. Evidemment, il n'a pas envie d'écouter ces conseils et ces leçons, ce qui procure au film de nombreux moments d'humour.

La longue marche pour échapper aux deux harpies se poursuit dans la neige et c'est là que Kubo et la femelle singe rencontre un étrange samouraï en forme de scarabée. Il n'a aucun souvenir de sa vie précédente (lui aussi parle) mais certains souvenirs lui reviennent petit à petit. Le singe et le scarabée se disputent gentiment, elle le traite d'incapable. Le trio va poursuivre son chemin à la recherche de l'armure magique. Il leur faut trouver le sabre, le plastron et le kabuto, soit le casque, tous situés dans des lieux différents.

Pour développer son récit, Travis Knight travaille sur les oppositions, le jour calme et la nuit dangereuse, les deux sœurs blanches face au singe et au scarabée, le minuscule origami du samouraï et le géant squelette. Les échelles changent constamment pour le plaisir des yeux. Le film fait aussi virevolter les feuilles, celles en papier avec lesquelles Kubo crée ses origamis, mais aussi les feuilles d'érables qui servent à fabriquer un navire pour traverser un lac, le tout au son du shamisen de l'enfant, « when my guitar gently weeps » comme le dit la chanson de George Harrison.

lundi 26 septembre 2016

Bonjour (Yasujiro Ozu, 1959)



Comme Gosses de Tokyo et Récit d’un propriétaire, Bonjour, films en couleurs pétaradantes et comédie située dans un petit quartier où tous les voisins se connaissent, est un film sur les enfants (thème que je préfère chez Yasujiro Ozu). La meilleure méthode pour faire connaitre tous les habitants est de les montrer sous leur moins bon jour. En l’occurrence, les petites disputes consécutives à la disparition des cotisations de l’association locale. La présidente affirme n’avoir jamais reçu l’argent de la trésorière qui affirme l’avoir remis depuis plusieurs jours. Les cancans fleurissent sur l’achat d’un lave-linge par la présidente (« mais avec quel argent »), puis plus tard sur la rancune de la trésorière, une fois l’affaire résolue (« il ne faut rien lui emprunter »). Car, c’était la vieille maman qui avait oublié de remettre les cotisations à sa présidente de fille.

Ce qui étonne d’abord dans Bonjour, c’est sa construction en micro récits, celui narré juste avant dure à peine quinze minutes. Une des ces petites histoires concernent également un prof d’anglais qui est amoureux d’une jeune femme, la sœur de M. Hayashi. Une autre montre l’un des voisins au chômage. Mais cela permet de montrer au cinéaste que la société à changé. D’un côté, les mœurs et les codes sociaux sont restés les mêmes pour une partie des Japonais : on s’habille traditionnellement, on est proches des voisins à qui on emprunte une bière ou un ticket de bus, on se dit gentiment bonjour tous les matins. De l’autre côté, la nouvelle génération étouffe dans ce quartier où les cancans sont légion, où la discrétion est rare. Un jeune couple tout juste installé, sans enfants, est critiqué pour s’habiller le soir non seulement à l’occidental mais aussi en peignoir. Comble de la modernité, ces jeunes mariés ont la télévision, contrairement à tous les autres voisins.

Les deux fils de la famille Hayashi raffolent de la télé. En douce, prétextant aller prendre des leçons d’anglais chez un voisin, ils vont avec leur trois camarades d’école regarder la télé chez ce couple. Leur passion est le sumo. Leur jeune tante, qui passe souvent chez eux, leur dit que c’est tout aussi passionnant à la radio. Mais non, ils n’en démordent pas, ils veulent voir les combats à la télé. Et ils vont demander à leur mère (Kuniko Miyake), non sans affront, une télévision. Le père (Chishu Ryu), strict et sévère, y est très opposé. Le fils aîné répond au père avec virulence puis traite sa mère de radine. Le petit frère, qui fait tout comme son grand frère (ils portent d’ailleurs des vêtements identiques), n’est pas non plus en reste. L’aîné affirme que toutes les paroles que disent les adultes ne sont que des mensonges ou des phrases toutes faites et vides de sens. Le père leur demande de se taire.

La grève de la parole commence donc pour les deux enfants. Les parents sont d’abord ravis. Puis, quand, en partant à l’école, ils ne disent pas bonjour à la voisine, cette dernière croit que c’est parce qu’elle a accusé la mère d’avoir volé l’argent des cotisations. Ensuite, pour les deux mômes, l’épreuve du silence à l’école s’avère plus complexe : ne pas répondre au professeur est un signe grave de rébellion. Enfin, comment demander aux parents l’argent de la cantine sans parler. Les scènes sont souvent drôles, les deux gamins – surtout la plus petit – ont des bonnes bouilles et leurs déplacements dans le cadre et leurs gestes sont proches du burlesque. Ainsi, avant qu’ils ne se taisent, le plus jeune sort régulièrement un « I love you », sonore et fier. L’humour est constant dans tout le film notamment avec le ton ironique adopté pour montrer les mesquineries et les cancans des voisines.

Là, la difficulté de communiquer ajoutée au changement de mode de vie est mise en avant. Le film montre que les enfants ont leur propre rituel (les gags récurrents sur les pets des gamins qui leur permet de s’inclure dans leur bande, le signe de doigts pour faire une pause et parler) qui s’oppose au rituel des phrases de politesse des parents. Il est plutôt amusant qu’un cinéaste comme Yasujiro Ozu prennent comme sujet de son film ces phrases simples et creuses (« bonjour, merci, comment ça va, au revoir »), lui qui s’est constamment appliqué à faire de ce genre de sentences le tronc principal des dialogues de la plupart de ses films. Comme s’il était lui-même conscient des critiques qui ont pu lui être fait à ce propos. C’est précisément cette ironie qui rend le film si joyeux.