mercredi 31 août 2016

Divines (Houda Benyamina, 2016)

Cette caméra d'or décernée cette année à Divines a été le moment fort en émotion / rire / télévision du dernier Festival de Cannes. Houda Benyamina en invitant ses actrices sur scène, en déclamant son discours pseudo-féministe et en sortant la réplique, désormais fameuse « t'as du clito » à Edouard Waintrop, sélectionneur de la Quinzaine des Réalisateurs, a électrisé la soirée. Restait donc à découvrir Divines. Cette réplique, on la doit à Rebecca (Jisca Kalvand) quand elle rencontre pour la première fois Dounia (Oulaya Amamra) et Maïmounia (Déborah Lukumuena). Le dialogue exact est « t'as du clitoris toi, je t'aime bien ».

Avant cette scène, Divines prend bien soin de longuement et largement présenter ces deux amies, filles de quartier populaire, et leur sinistre cadre de vie. Maïmounia est la fille de l'imam de la Mosquée, lieu où démarre le film. Elle est en pleine prière recevant des SMS de Dounia qui l'observe de dehors, de la rue. Ce premier signe de religion sera suivi d'autres, une évocation des djinns, une visite dans une église, la musique sacrée utilisée comme illustration sonore. Mais une fois la prière finie, le voile est rangé et Maïmounia court rejoindre Dounia, adolescente menue en survet et capuche.

Dounia est appelée la bâtarde par certains, parce qu'elle ne connaît pas son père et que sa mère alcoolo a mauvaise réputation. Elles habitent dans un camp Rom avec le grand frère travesti. On pourrait croire que Houda Benyamina charge le paquet social pour décrire la pauvreté, la marginalité, l'explosion du schéma familial, mais dans ce portrait sinistre, il s'immisce toujours une part bienvenue de comédie (Dounia prépare la « douche » pour sa mère). Les ruptures de ton sont à l'image du personnage de Rebecca « tu frappes et tu caresses », un duo à la Laurel & Hardy qui passe du réalisme à l'onirisme, du drame à la comédie.

Pas question pour Dounia d'assister plus longtemps aux cours du BEP Accueil (oui, ça existe) et de sourire bêtement. Elle préfère aller piquer, avec Maïmounia, des briquets et des sodas en les cachant sous un hijab pour tout revendre aux gamins du quartier. Et c'est donc pour se faire un peu de pognon que Dounia approche Rebecca, la caïd de la cité qu'elle espionne, qu'elle observe et qu'elle jauge. Grâce à un subterfuge et un chantage, elle prouve ses qualités (si on peut s'exprimer ainsi) et se fait engager par la boss du quartier et lui rend quelques services.

Avec le personnage de Rebecca, véritable pivot du film, le plus construit, la cinéaste montre ses hautes ambitions, soit se placer sous la patronage tout autant d'Abel Ferrara, de Martin Scorsese, de Brian DePalma ou de Il était une fois en Amérique. Rebecca est un conglomérat de tous les personnages de ces caïds, une Tony Montana en herbe qui renvoie son toy boy dans la chambre quand les deux adolescentes arrivent pour causer business, une femme d'affaires qui se déplace en Mini décapotable, couleur rouge bien-sûr, et qui traite Samir (Yasin Houicha) comme une bonniche, une potiche, un larbin.

Divines s'amuse à inverser les codes du genre. Sur un mode comique, Maïmounia fait penser au loup de Tex Avery quand elle découvre les abdos du toy boy de Rebecca. Sur un mode plus dramatique et plus stéréotypé, Dounia matte Djigui (Kevin Mischel), danseur de hip-hop promis à la gloire. Personnage un peu ingrat (ah l'art c'est tellement mieux que l'argent), Djigui est vu comme un strict objet de fantasme, à moitié nu à chaque apparition, son érotisation est outrancière et parfois ridicule, et elle n'a rien à envier à l'érotisation des bimbos dans les films hollywoodiens.

mardi 30 août 2016

J'ai aussi regardé ces films en août 2

L'Economie du couple (Joachim Lafosse, 2016)
Je suis assez partagé. Joachim Lafosse aborde son sempiternel sujet, une communauté restreinte qui s'enferme dans un lieu unique sans que l'extérieur ne semble avoir de prise. Ce lieu, une maison bourgeoise au rez-de-chaussée, un jardin et un grand portail qui donne sur la rue. Marie (Bérénice Bejo) et Boris (Cédric Kahn), séparés mais qui se disputent sur l'argent avant de divorcer. Ils ont deux filles. Le film est un petit théâtre en huis clos, les personnages circulent dans les pièces et le jardin au gré des conversations. Le quotidien est pénible, fait de petites mesquineries (je mets que 3 assiettes, tu manges pas avec nous, lui dit-elle), de colères sourdes, sans tomber dans les engueulades de règlement de compte (comme on le voit dans la plupart de ces films français de réunion de famille). D'un autre côté, tout le scénario est forcé. Dès la séquence d'ouverture, Joachim Lafosse crée artificiellement une tension. Marie arrive avec ses filles. Elle met la clé dans la porte pour ouvrir et se rend compte au bout d'un moment que Boris est là (tout est en plan séquence). Il se serait donc enfermé dans la maison pourtant équipé d'un solide portail ? Or dans toutes les scènes suivantes, ni elle, ni lui ne ferme la porte quand il est déjà présent avant que l'autre n'arrive. Et c'est toujours à ce genre de détails que l'on voit la puissance d'un film.

Nerve (Henry Joost & Ariel Schulman, 2016)
A l'heure de Pokémon Go, Nerve propose un autre jeu sur smartphone où les joueurs doivent aussi aller dans la rue (ici New York, en commençant par Staten Island) et relever des défis lancés par les voyeurs. Il est interdit aux deux héros (Dave Franco, le frère de James et Emma Roberts, la nièce de Julia mais surtout l'incroyable vilaine Chanel de l'épatante série parodique Scream queens) de dévoiler le jeu à ceux qui ne sont ni joueur ni voyeur, comme dans Fight club. Mais c'est à un autre film de David Fincher que j'ai pensé devant ce scénario sans originalité, l'horrible The Game. Les défis sont d'abord inoffensifs (mettre une robe de luxe et un tuxedo dans un magasin chic) puis de plus en plus violents, foncer yeux fermés à 100km/h dans la rue à moto, s'accrocher à une grue. Dans sa navrante pudibonderie, les scénaristes ne pensent jamais à passer par la case sexe, motif bien plus subversif dans l'Amérique de Trump. Si j'avais été voyeur, j'aurais proposé que Dave Franco se retrouve au beau milieu d'un bukkake en compagnie de Kaleb Scott. Voilà une belle idée pour Nerve 2 !

lundi 29 août 2016

The Hole (Tsai Ming-liang, 1998)

Il pleut, des trombes d’eau, il n’arrêtera pas de pleuvoir, le son de l’eau qui coule, entre ploc ploc des fuites au plafond et le ruissellement ininterrompu dans la cour de l’immeuble déserté en cette semaine de changement d’année. On va rentrer dans l’an 2000 avec son bug informatique mais surtout un virus qui se répand dans toute la ville. Tous les habitants ont fui leurs logements parce que le gouvernement va couper l’eau potable. Tous sauf deux, lui (Lee Kang-sheng) et elle (Yang Kuei-mei). Il habite au dessus de chez elle et ne se sont jamais rencontrés.

Il boit beaucoup, rentre chez lui saoul et vomit dans le trou creusé par le plombier pour réparer une fuite qui se répandait dans la salle de bains de la voisine du dessous. Il tient le dernier magasin ouvert dans la galerie, de temps en temps un vieux monsieur (Miao Tian, qui jouait le père dans La Rivière) vient acheter un produit. Le vendeur est à côté, en train de donner à manger au chat errant qui a élu domicile ici et qui semble être la seule raison pour laquelle le jeune homme reste dans l’immeuble.

Elle passe son temps à écouter les infos à la télé (pas très rassurantes les infos qui semblent annoncer une fin du monde très proche), elle fait pipi avec une bassine sur la tête pour ne pas recevoir les gouttes de fuite, elle déplace des centaines de rouleaux de papier hygiénique du débarras dans le couloir et, surtout, elle essaie de convaincre le voisin de faire enfin réparer ce trou qui les conduit à la promiscuité. D’un appartement à l’autre, c’est un échange continu. Le réveil de l’homme sonne, ça dérange la femme, elle tue des cafards au spray, l’odeur rentre chez lui.

Les deux appartements de The Hole n’en formeront bientôt qu’un seul. Et les deux derniers survivants (puisque Tsai Ming-liang les voit ainsi) vont sans doute former un couple. Le cinéaste reste assez elliptique sur ce sujet mais les chansons qui ponctuent le film semblent plus claires. Régulièrement, comme mouvement du récit, des chansons de Grace Chang prennent en charge les sentiments des personnages. Jolies chorégraphies dans les couloirs où des couleurs vives viennent illuminer un quotidien blême. Le procédé sera repris par Tsai Ming-liang dans La Saveur de la pastèque, amplifié même.

Les chansons sont pimpantes, Yang Kuei-mei chante en play-back, danse en robe de soirée avec trois jeunes femmes ou cinq danseurs en tuxedo. Lee Kang-sheng, en smoking blanc, tente, tant bien que mal, d’esquisser une danse, un tango. Il a toujours du mal à bouger son corps qui semble endolori à jamais. C’est tout à fait charmant alors que les chorégraphies sont fauchées, le play-back à la limite de l'approximation. Mais quand c’est la fin du monde, on ne fait pas attention à cela. Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse.






















dimanche 28 août 2016

Le Rouge et le noir (Claude Autant-Lara, 1954)

J'ai regardé Le Rouge et le noir (pour la première fois de ma vie) parce que Johan Libéreau dans Cosmos trimballait le DVD en disant au sujet de Gérard Philipe « qu'il est beau garçon, on en fait plus des comme ça ». Le film est sorti le 29 octobre 1954 (il a été en couverture des Cahiers du cinéma en novembre 1954), soit 8 mois après la lourde charge de François Truffaut, toujours dans cette même revue, contre « une certaine tendance du cinéma français » à adapter les romans phares de la littérature française au goût du jour. Pour le jeune critique, il était insupportable que Claude Autant-Lara et ses deux scénaristes Jean Aurenche et Pierre Bost soient aussi anticléricaux.

L'histoire du Rouge et le noir (3h05) est celle de Julien Sorel qu'incarne Gérard Philipe, un « petit paysan » entré au séminaire et qui se voit devenir, grâce au curé de son village, précepteur des enfants de Monsieur et Madame de Rênal (respectivement Jean Martinelli et Danielle Darrieux). Malgré les avances de la bonne Elisa, il devient l'amant de Madame de Rênal. Face à la lettre anonyme que Rênal reçoit, Madame de Rénal renonce à son amant d'autant qu'elle voit la maladie de son petit comme une punition divine. Retour au séminaire à Besançon où il est chapeauté par l'abbé Pirard (Antoine Balpétré) en rupture avec sa hiérarchie. Fin de la première époque.

Dans la deuxième époque, Julien Sorel débarque à Paris. Son abbé protecteur lui a trouvé une place dans une famille noble, l'excentrique Marquis de la Môle (Jean Mercure) a sa confiance. Il devient son secrétaire. Il travaille dans la bibliothèque où il voit souvent passer Mathilde (Antonella Lualdi), la fille du Marquis avec qui il entame une liaison au grand dam d'un ami de la famille (Georges Descrières), lui aussi noble. Sur ordre de son confesseur, Madame de Rênal écrit une lettre qui affirme que Julien est un homme pervers. Retour au tribunal, qui ouvrait la première époque, où les juges condamnent Sorel à mort pour avoir tenté d'assassiner Madame de Rênal.

Ce qui frappe est le style de Claude Autant-Lara, c'est la stylisation extrême des décors des trois lieux. Gris pour la château provincial des Rênal, un endroit mesquin et sinistre. Blanc pour le séminaire de Besançon. Beige pour la demeure des De la Mole. Chaque fois, des murs nus, peu de décorations (miroirs, meubles, tableaux) ce qui apporte un aspect étrange au film, presque fantastique. On est loin de l'académisme de nombreux films en costumes du cinéma des années 1950. Les costumes aux couleurs criardes et vives (vert, violet, jaune) apportent un peu de vie au milieu de ces univers mortifères. C'était le premier film en couleurs du cinéaste.

Gérard Philipe était un peu vieux pour incarner cet arriviste qui utilise ses charmes pour changer de condition. Il joue un peu théâtre, avec une voix douce, un visage hiératique, une mollesse dans les mouvements mais sa voix intérieur qui narre son ambition est plus vive. Le souci est que tout passe par les dialogues et Gérard Philipe se repose sur eux, contrairement à Danielle Darrieux au jeu plus physique. Le film est une délicieuse et virulente critique de la religion et de l'armée, de l'hypocrisie de la noblesse (M. de Nêral traite ses domestiques pis que pendre, le Marquis se cramponne à ses rituels). « L'homme d'église est un valet de chambre nécessaire pour leur salut » dit l'abbé Pirard.























samedi 27 août 2016

Super 8 (J.J. Abrams, 2011)

Quel que soit le bout par lequel on le prend, Super 8 est un autoportrait de J.J. Abrams. Non pas une autobiographie, mais une esquisse de son adolescence, un reflet de ses influences et une vision de sa méthode de mise en scène. La petite troupe que s'est constitué Joe Lamb (Joel Courtney) avec ses amis est autant celle des Goonies (version comique) ou de Stand by me (version tragique) que celle des amis d'adolescence du cinéaste. Au générique de Super 8, le chef opérateur Larry Fong, le producteur Bryan Burk, le cinéaste Matt Reeves ont connu J.J. Abrams quand ils avaient 13 ans.

Ce qui passionne Joe et Charles (Riley Griffiths), son meilleur ami et voisin, c'est le cinéma. Charles tourne des films de zombies avec sa caméra super 8. Joe est accessoiriste (il fabrique le sang et maquille les comédiens) et cameraman, Martin (Gabriel Basso) joue le commissaire, Cary (Ryan Lee) est spécialiste des explosifs et un zombie, Preston (Zach Mills) est figurant. Pour rendre le film plus professionnel, l'équipe décide de tourner à minuit sur le quai d'une gare. Charles a engagé Alice Dainard (Elle Fanning) pour les conduire en voiture et tenir le rôle féminin.

Alice est étonnée de voir Joe. Quatre mois plus tôt, ce dernier a perdu sa maman dans un accident. J.J. Abrams filmait en ouverture avec une économie de moyen, deux plans sans dialogues, l'annonce de cette mort et le grand désespoir de Joe qui tenait fermement dans sa main un médaillon contenant une photo d'elle le tenant dans ses bras. Son deuil, il le fait en aidant Charles à faire son film car, comme le disait Truffaut, le cinéma est plus important que la vie. Malgré les querelles de leur père respectif, Joe et Alice sont amis (et éventuellement amoureux).

Le petit film de Charles, tourné avec sa petite caméra et ses camarades de 12 ou 13 ans, avec des costumes trop grands pour eux, des effets sanguinolents primaires et des maquillages grossiers, se confronte aux grands effets spéciaux de J.J. Abrams. Devant la gare de cette petite bourgade de Lillian en Ohio, un train passe, à grande vitesse. Charles est ravi de ce hasard qui augmente la valeur de son court-métrage. Et le train explose dans un déluge de feu pour le plus grand plaisir de Cary mais les morceaux des wagons qui tombent menacent la petite troupe.

La caméra super 8 qui s'est affaissée a tout filmé. Le film fait durer le suspense pour expliquer ce qui s'est passé dans l'explosion. On sait pour l'instant que la camionnette de M. Woodward (Glynn Turman) a causé l'accident, que celui-ci a une carte montrant le trajet du train, que des cubes blancs sont éparpillés partout sur le sol, et Joe en prend un, et que l'armée arrive pour tout boucler avec à sa tête le colonel Nelec (Noah Emmerich). Les apprentis cinéastes déguerpissent et le lendemain Charles et Joe vont faire développer leur bobine, le film sera prêt dans quelques jours.

L'agitation qui secoue la ville de Lillian ne perturbe pas le tournage de Charles. Les militaires fouillent les maisons, il tourne devant eux, ils enquêtent sur le lieu de l'accident, il filme le train dévasté en arrière plan et Cary, Alice et Martin au premier plan. Pendant ce temps, les chiens fuient la ville, le shérif a disparu et son adjoint (Kyle Chandler), le père de Joe, doit répondre à une population angoissée de voir leur ville détruite et en danger. Une femme va jusqu'à soupçonner les Soviétiques (nous sommes alors en 1979) d'avoir envahi les Etats-Unis.

La question que se pose alors J.J. Abrams est de savoir quand faire apparaitre son extra-terrestre qui était séquestré dans ce train. Doit-il attendre comme dans Alien ou Rencontres du troisième type ou l'exposer immédiatement comme dans ET ou Aliens ? Plus encore, il faut caractériser sa fonction : un ennemi venu détruire la Terre, ce que ses actes de destructions laissent penser ou au contraire un explorateur pacifique ce que soutient Woodward dans un film que les ados regardent dans leur enquête parallèle, leur véritable aventure comme dans un film des années 1980.

Les militaires, comme dans tous les films d'aliens de Steven Spielberg, également producteur de Super 8, sont bornés, belliqueux et menteurs. Woodward est le pendant de Lacombe dans Rencontres du troisième type, l'homme qui connaît la vérité sur les OVNI (Truth UFO / Truffaut). Cette vérité est ineffable et puisqu'on ne peut pas parler avec l'extra-terrestre, tout passe par les regards de Joe. Ce regard d'enfant qui perd son innocence (tant mieux) et qui arrive dans l'âge adulte (tant pis), c'est le regard du spectateur qui découvre un spectacle du Merveilleux, c'est le regard de J.J. Abrams, le meilleur conteur du cinéma de ces dernières années.

PS : On découvre The Case, le film super 8 de Charles et Joe pendant le générique de fin.