samedi 30 avril 2016

J'ai aussi regardé ces films en avril (partie 2)

Adopte un veuf (François Desagnat, 2015)
Sans doute la présence d'André Dussollier me pousse à le penser, mais Adopte un veuf c'est un peu Trois hommes et un couffin 30 ans plus tard. Sauf que c'est l'inverse, dans cette colocation parisienne et super bourgeoise, le veuf qu'est Dussollier, grognon et dévitalisé, accueille d'abord une blonde pimpante (Bérengère Krief) vaguement sans logement qui s'incruste chez lui et suggère de prendre deux autres recalés de la vie, un avocat séparé (Arnaud Ducret) et une infirmière timide (Julia Piaton). Comme on s'y attend, le trio enquiquine le veuf puis tout le monde s'aide mutuellement, chacun apporte ses qualités pour effacer les défauts de l'autre. Sympatoche et drôle, le film de Desagnat fils et frère des autres (il a déjà commis La Beuze et Les 11 commandements jadis) est à peu près 100 fois supérieur à Five chroniqué il y a quinze jours.

Mandarines (Zaza Urushade, 2013)
Encore (ou presque) une histoire de colocation, cette fois dans une maison perdue au fin fonds de l'Abkhazie, une province de la Géorgie. Ivo, un vieillard estonien établi là depuis des lustres et son voisin Margus, également vieux et estonien, sont restés là malgré le début de la guerre de 2008 et le départ de leur famille respective. Le premier fabrique des cagettes qui contiendront des mandarines que cultive le second. Ils vont soigner et héberger un mercenaire tchétchène, engagé par les Russes de Poutine, et un soldat géorgien. Dans ce beau paysage, ces quatre hommes vont tenter de cohabiter avec l'habituelle ritournelle des haines qui se transforment en amitié quand ils finissent par se connaître. Ivo sert de père à ces deux ennemis qui se comportent comme des gamins. Ce qui procure quelques scènes bien vues, souvent caustiques et assez drôles, car, oui, la guerre peut faire rire, jaune certes. La polyphonie des langues, chacun parle sa langue mais russe entre eux, ne cesse de dire, entre tension et moments d'humour, qu'une seule chose : quelle connerie la guerre.

Dalton Trumbo (Jay Roach, 2015)
Les frères Coen avaient traité à leur manière, légère et ironique, la chasse aux sorcières à Hollywood dans Ave César, Jay Roach, l'auteur des 3 Austin Powers évoque cette sinistre période de l'industrie du cinéma au premier degré et avec passion. Il faut d'abord s'habituer au fait que des acteurs inconnus jouent des acteurs très connus (Edward G. Robinson, John Wayne, Kirk Douglas), d'où leur nom donné en entier quand ils apparaissent à l'écran et des reconstitutions des films dans lesquels ils ont joué. Deux camps s'affrontent dans Dalton Trumbo. Celui du personnage éponyme incarné avec justesse par Bryan Cranston, scénariste communiste, et celui des anti-rouges dirigé par la cancanière Hedda Hopper (Helen Mirren géniale) qui menace tous ceux qui voudraient travailler avec Trumbo. Le film comporte deux parties, la première est consacrée à l'éviction des scénaristes communistes (parmi lesquels Arlen Hird joué par Louis CK) que Jay Roach filme platement, simples joutes verbales entre les protagonistes. La deuxième partie se focalise sur le retour secret à l'écriture de Trumbo. Là, le film est formidable dans sa manière de voir comment le scénariste dupe Hedda Hopper et ses partisans dans un jeu du chat et de la souris. John Goodman campe avec délice Frank King qui offre à Trumbo du travail dans une compagnie qui fait des séries B. Etonnement, il n'est jamais fait mention pendant les deux heures de Johnny got his gun.

10949 femmes (Nassima Guessoum, 2014)
Ces 10949 femmes en question dans le documentaire de Nassima Guessoum (fait en solo, avec une toute petite caméra), ce sont les moudjahidettes qui ont combattu pour l’indépendance de l'Algérie. La toute première d'entre elles était Nassyma Hablal, décédée en 2013, qui intègre le FLN dès 1955. Née en 1928, Nassyma est d'abord une femme qui a adopté le mode de vie français, avant de rejoindre les mouvements indépendantistes. Le film la suit 4 ans, dans sa maison d'Alger où elle ouvre le film en chantant, affirmant qu'elle aurait dû faire une carrière dans la chanson au lieu d'être résistante. Pleine d’entrain et de rires, Nassyma Hablal raconte sa vie de femme très indépendante, elle présente ses amies à la documentariste, elle lui fait visiter Alger. La dernière séquence la montre en train de discuter avec sa nièce qui sort bondieuserie sur bondieuserie. Nassyma est désespérée de constater que le colonialisme n'est plus celui des Français mais de la bigoterie.

Captain America Civil War (Anthony & Joe Russo, 2016)
Dans Austin Powers, l'action s'arrêtait régulièrement pour montrer les réactions des familles quand elles apprenaient que l'un des sbires et porte-flingues du Dr. Evil venait d'être tué. C'est vrai personne ne se soucie jamais du sort de ces figurants abattus par les héros. La nouvelle super production Marvel s'intéresse quant à elle aux victimes tombées sous les décombres des immeubles que les Avengers détruisent pour rendre la justice. Plus précisément, ce sont les membres des familles qui cherchent à se venger de Captain America (Chris Evans) et Iron Man (Robert Downey Jr). C'est évidemment un plan ultra machiavélique fomenté par un jeune Allemand (Daniel Brühl), et qui fait voyager dans une bonne dizaine de pays pour finir au fin fonds de la Sibérie, qui tient lieu de scénario. Comme dans l'album d'Astérix, il sème la zizanie. Mais comme dans Batman V Superman, il est assez pénible de supporter le caractère buté d'Iron Man qui ne comprend pas vite (pas futé le mec) que tout cela était un piège. Sans doute n'a-t-il jamais vu un film d'action ou d'espionnage ? Quel terrible manque de culture.

vendredi 29 avril 2016

Palombella rossa (Nanni Moretti, 1989)

Palombella rossa était le seul film de Nanni Moretti a ne pas avoir été édité en DVD. C'est désormais chose faite, mais à quel prix. L'absence de bonus n'est pas en soi un problème, mais l'image est minuscule (elle est formatée pour télé cathodique) et pas nettoyée et sûrement pas remastérisée. On distingue souvent ces poussières typiques des projections en pellicule en bas du cadre. Le film est livré dans son jus, comme à l'époque des premiers DVD où les films étaient simplement scannés sans étalonnage vidéo. Cela peut avoir son charme.

Dans ces années 1980, Nanni Moretti s'est donc intéressé au cinéma (Sogni d'oro), à l'éducation nationale (Bianca) et à l'église catholique (La Messe est finie). Dans Palombella rossa, Nanni Moretti est une nouvelle fois Michele, un député. Un député du PCI qui clame à très haute voix « je suis communiste ». Un député communiste qui joue au water polo. Et qui a perdu une partie de sa mémoire dans un ridicule accident de voiture parce qu'il s'amusait à faire des grimaces à des enfants qu'il voyait à l'arrière de l'auto devant lui.

Michele a visiblement oublié qu'il a un match de water polo à son agenda. Un match de final, très important pour son entraîneur surexcité par cet événement. Le coach (Silvio Orlando) prodigue ses derniers conseils aux joueurs. Michele, hébété, s'endort sur le genou d'un camarade dans le car, reste hiératique au bord de la piscine une fois les tenues revêtues (un maillot de bain blanc et un bonnet bleu, Michele a le numéro 5). Il est absent à lui-même, comme aux autres, il ne se rappelle plus ce qu'il fait là, s'il pourra jouer le match.

Je ne connais pas les règles du water polo, que Nanni Moretti ne prenne pas la peine de les expliquer n'empêche pas de ménager un suspense certain sur l'issue du match et sur le joueur de l'équipe adverse (un hongrois bien bâti, Imre Budavari) qu'il faut surveiller. La durée du match est celle du film. Le point d'orgue est l'éventuelle égalisation avec un penalty qui n'en finit pas d'être étiré, au rythme des hésitations de l'arbitre, visiblement favorable à l'équipe adverse, à siffler le début de l'action.

Les gradins de la piscine où a lieu ce match sont, en début de film, clairsemés. Le public est peu nombreux. On compte plus de joueurs que de spectateurs. Tandis que le match se joue, de plus en plus de monde peuple ces gradins jusqu'à ce qu'ils soient totalement remplis, comme si le water polo était aussi populaire qu'un match de foot. Les supporters s'expriment de plus en plus, prennent à partie l'arbitre, tout comme le coach viré du bord de la piscine, et chantent en chœur avec Michele une chanson lors de la séquence finale.

Pendant les hors jeux, Michele se fait alpaguer par des gens qui apparaissent et disparaissent par enchantement. Deux communistes lui offrent des gâteaux, un catholique (et Raoul Ruiz) viennent lui demander de venir à l'église, un barbu l'engueule, un vieil ami discute avec une journaliste venu interviewer Michele, et la fille de ce dernier, Valentina (Asia Argento) fait ses devoirs au bord de la piscine. Tous ces personnages sont des figures du passé de Michele, des fantômes de sa mémoire défaillante qui viennent le harceler.

Ce passé passe aussi par des flash-backs où Michele, enfant, fait ses premiers pas à la piscine avec sa maman. Ce passé, ce sont ces extraits en 8mm avec un Moretti tout jeune mais avec sa voix actuelle, portant une simple moustache. Ce passé, c'est la diffusion à la télé de Docteur Jivago où chacun attend avec angoisse le finale en espérant que Julie Christie va enfin se retourner et voir Omar Sharif. Le suspense est à son comble, tout autant que le résultat du match de water polo. Tous les spectateurs du match se tournent alors vers la télévision.

Palombella rossa est sorti deux mois avant la chute du mur de Berlin. Nanni Moretti ne pouvait pas la prévoir, il n'est pas prophète, mais cet extrait final de Docteur Jivago (qui se situe peu après la Révolution d'Octobre), tout comme les questions de l'émission politique de la télé (pour laquelle il voue toujours la même haine) auxquelles il répond, les reproches de ses camarades communistes, esquissent une histoire du communisme, très partielle, très raccourcie mais qui ne serait remplie que de déceptions et de rendez-vous manqués.



















jeudi 28 avril 2016

Nos souvenirs (Gus Van Sant, 2015)

Les quolibets qui ont suivi les projections de Nos souvenirs au Festival de Cannes 2015 (alors simplement titré The Sea of trees) ont retardé de près d'un an sa sortie en salles. La presse aurait sifflé le film lors de sa présentation. Qu'on se rende compte, Gus Van Sant n'aurait pas fait un énième film sur des adolescents en skateboard, ou un chanteur junkie ou des lycéens meurtriers. Au lieu de ça, Arthur (Matthew McConaughey) un prof de sciences qui décide de tout plaquer pour prendre un avion sans aucun bagage, s'envoler au Japon et pénétrer dans une forêt malgré les panneaux qui en interdisent l'entrée.

Les quinze premières minutes de Nos souvenirs se présentent sans un seul mot, mais avec un beau design sonore. On n'entend que le son des pas d'Arthur sur le sol et une musique planante et inquiétante, la caméra suit son personnage dans ce parcours d'abord balisé par des pancartes, un chemin en forme de serpent composé de planches, des cordes de toutes les couleurs, jusqu'à ce panneau qui indique la fin de la promenade. Arthur franchira la barrière et s'avancera plus profondément dans la forêt, de plus en plus épaisse, avec des arbres immenses que Gus Van Sant filme comme un prison dans laquelle Arthur va s'enfermer.

Tandis qu'il s'enfonce, l'obscurité s'impose, puis c'est le froid. Et sur le sol, il remarque des objets disparates, et un corps. Dans cette forêt juste à côté du mont Fujiyama, les gens désespérés viennent se suicider. Et tout à coup, Arthur croise un homme, un Japonais (Ken Watanabe), qui – miracle – parle anglais. L'homme est blessé, il titube. Arthur lui donne sa large veste beige pour le réchauffer, il déchire une manche de sa chemise pour soigner ses blessures aux poignets. Le Japonais veut retrouver le chemin pour partir d'ici au plus vite, mais le chemin a disparu. Ce sont des naufragés au milieu de cette mer d'arbres.

Comme dans tous les films de Gus Van Sant, la marche de ses personnages est le moteur du récit, Gerry (autre film bien moqué à l'époque et qui sortit en salles deux ans après sa production, et encore grâce à la Palme d'or à Elephant) est son film où la marche est poussée dans la plus grande abstraction. Nos souvenirs souffre d'un grave défaut : tout est expliqué à grands coups de flash-backs. On découvre la vie d'Arthur dans la Massachusetts, sa vie de couple avec son épouse (Naomi Watts) alcoolique et atteinte d'une tumeur. Leurs disputes tout comme leur amour sont étalées au premier degré. De la guimauve.

Pour ma part, cette idée de deux naufragés au milieu d'une forêt peuplée de signes mortifères me plaît beaucoup plus que les séquences de la vie de couple. On remarquera que les scènes de jour au Japon s'oppose aux séquences de nuit des flash-backs, et inversement quand la nuit arrive et que l'obscurité devient totale sur l'écran. La marche d'Arthur et du Japonais dure quelques heures où ils ne cessent de trébucher, de s'esquinter, de se blesser, de crever de faim et de froid. Gus Van Sant touche à un fantastique, énonce un lieu mystérieux où l'on comprend assez vite la vraie nature du Japonais.

Le choix de Gus Van Sant de faire de Matthew McConaughey sa victime expiatoire est étonnante. L'acteur texan est plus habitué (et je ne parle que de ses films depuis Tonnerre sous les tropiques et non des ses rôles sans chemise) aux grandes gueules qui foncent dans le tas. Gus Van Sant prend un malin plaisir à le faire porter les vêtements des suicidés qu'il découvre aux recoins des bois, à le couvrir de boue et d'eau. Mais le plus important, il lui fait dire « qu'en tant que scientifique, il pense que Dieu n'existe pas », exactement l'inverse de ce que disait son personnage dans Contact de Robert Zemeckis, plus proche de ses convictions religieuses. Un vrai rôle de composition.

mercredi 27 avril 2016

Théo & Hugo dans le même bateau (Olivier Ducastel & Jacques Martineau, 2016)

Les risques que la pseudo association « Promouvoir », liberticide et infantilisante, demande l'interdiction aux moins de 18 ans de Théo & Hugo dans le même bateau sont réelles. Tout simplement à cause de sa première séquence d'une bon gros quart d'heure où les deux garçons se rencontrent. Cette ouverture se déroule dans un sexclub nommé L'Impact (vers Rambuteau). On descend l'escalier qui mène au sous-sol, là dans une lumière rouge vif, une dizaine de gars baisent. Tous sont nus, tous sont en érection.

Théo (Geoffrey Coët) a un partenaire, tout comme Hugo (François Nimbot). Ils ne se connaissent pas, ils se voient pour la première fois et le regard de Théo se porte inlassablement sur Hugo, il le toise, cherche à attirer sa fascination sur lui. Il y parvient tandis qu'ils se font baiser par d'autres gars, ils se rapprochent, commencent à s'embrasser et décident de baiser ensemble. Ils s'allongent sur le lit rouge au milieu de la pièce, Théo enfile une capote et Hugo, tandis que la lumière alterne le rouge et le bleu au rythme des mouvements du bassin.

La scène n'impressionne pas seulement parce que c'est la première fois dans un film hors porno qu'on pénètre dans un sexclub et dans une backroom. Elle frappe par sa grande pudeur, sa douceur intime et son romantisme qui irradient les deux visages du petit bouclé au torse poilu et du grand brun imberbe. La dernière fois qu'un jeu de regard avait été aussi précisément décrit, avec autant de justesse, c'était ceux de Louis Garrel et Gaspard Ulliel dans le subtil travelling de Saint Laurent de Bertrand Bonello. Les bites en érection en moins.

Seulement voilà, après ce moment aussi intense, aussi mémorable et aussi réussi, Jacques Martineau et Olivier Ducastel semblent avoir tout donné. Que peuvent-ils bien proposer ? Le titre l'expose assez bien. C'est d'abord un hommage à Agnès Varda, à Cléo de 5 à 7, le film des deux cinéastes se déroule en temps réel de 5 à 7 heures du matin. C'est aussi une variation déambulatoire qui évoque Jacques Rivette et Céline et Julie vont en bateau. Le décor est Paris au tout petit matin et ses rues vides que les deux garçons vont visiter le sourire aux lèvres.

Les deux hommes quittent ensemble le club. Ils se rhabillent et se présentent enfin. Ils vont rentrer chez eux en louant un vélib. Sur leur vélo, ils discutent quand tout à coup, au détour d'une banalité, le sourire d'Hugo se fige quand Théo lui annonce qu'il croit que son préservatif a craqué. Et là c'est le drame, comme dirait l'autre, car Hugo est séropositif. Les dialogues prennent alors les atours d'une brochure de Sida Info service, ce qui n'est pas un reproche en soi, ces conseils sont nécessaires et vitaux, mais leur intégration dans les dialogues sonnent faux.

Les deux amoureux, car ils le sont, le film le transpire à chaque plan, poursuivent leur chemin. Les reproches haineux de l'un comme de l'autre alternent avec les gestes de tendresse. Ils filent à l'hôpital, rencontrent un vieux râleur homophobe puis une interne épatante. Ils s'arrêtent dans un parc pour se dire leurs quatre vérités. Ils vont manger un kébab chez un Syrien exilé puis discutent avec une dame qui prend le premier métro pour aller travailler. Leur univers commence à se peupler, ils ne sont plus seuls au monde, ils vont encore s'aimer éperdument.

Une source sûre m'informe que les rôles de Théo et Hugo avaient été proposés à Vincent Dedienne (humoriste et chroniqueur sur France Inter) et à son compagnon.

mardi 26 avril 2016

Joe Hill (Bo Widerberg, 1971)

La Statue de la Liberté accueille les migrants de tous les pays en cette année 1902. Parmi eux, les frères Hillström, Joseph (Thommy Berggren) et Paul (Hasse Persson), surnommé Paulie par le premier. La vie n'est pas facile, surtout quand on ne parle pas un mot d'anglais et que personne ne comprend le suédois. Paul a trouvé un petit boulot dans le New Jersey, et Joe vit pour l'instant de petits expédiant qui peuvent lui permettre de survivre dans la grande ville grouillante, remplie de clochards et de gens riches qui ne se côtoient jamais. Mais ça ne l'empêche pas d'envoyer à sa maman restée en Suède des bonnes nouvelles.

Joseph se fait vite surnommé Joe par un gamin pour lequel il s'est pris de sympathie. Et réciproquement. Débrouillard comme tout, le « Renard » (Kelvin Malave), tel est son surnom, vole tout ce qu'il peut pour manger. Une fourrure à une dame, des cuillers en argent, des poissons sur le port de New York. Le Renard vit avec sa maman et son petit frère souffreteux. Ils seront expulsés de leur pauvre logement. Première révélation pour Joe de l'injustice sociale. Mais pour l'instant, il rêve à une belle vie. Il colle son oreille à la porte de la sortie des artistes de l'opéra et écoute les airs et il rencontre une belle italienne (Anja Schmidt) qui pratique la même passion.

Rien ne retient vraiment Joe Hill à New York. Avec sa petite valise, portant son nœud papillon et sa plus belle veste, il décide de retrouver son frère Paulie. Il l'appelle en hurlant sur les collines. Il ne le reverra jamais mais rencontre un hobo, un vagabond surnommé Blackie (Evert Anderson) qui se moque de sa valise, bien impraticable pour un vagabond et la troque contre un baluchon bien plus commode pour grimper dans les trains. Joe et Blackie commencent leur périple ensemble. Joe Hill se lance dans un road movie où son personnage fera des haltes au gré des rencontres.

La découverte de la justice et de la lutte contre les patrons se fait au détour d'un train où toute une ribambelle de gars portant un foulard aux couleurs d'un nouveau syndicat sort d'un train. Leur leader explique qu'ils doivent vite filer par peur de se faire embarquer par la police. Joe et Blackie qui traversent le continent depuis de longs mois ne sont que deux simples baroudeurs, mais pour Joe cette rencontre va bouleverser sa vie. Au village, les activistes haranguent la foule sous les insultes des bigots et les matraques des policiers. Joe lit les tracts du syndicat (le IWW, Industrial Workers of the World) mais poursuit son périple.

Il s'arrête dans une ferme de Californie pour voler des œufs, se fait surprendre par Cathy (Cathy Smith) la fille du fermier mais il réussit à la convaincre de s'installer, pour l'aider à la ferme, d'autant que le papa est malade. Blackie fuit la vie sédentaire. Joe Hill restera un certain temps le compagnon de la fermière jusqu'à ce que ses démons reprennent le dessus. Et par démons, j'entends cette soif de justice à laquelle il a simplement goûté lors de sa rencontre avec les syndicalistes. La fermière le vire sans ménagement, jetant les tracts et les maigres affaires de Joe qui reprend la route.

Jusqu'à présent, Bo Widerberg soufflait le chaud et le froid, alternant des moments légers avec d'autres plus graves. Désormais seul, Joe Hill va se consacrer tout entier au syndicat. Le film ne cesse alors de montrer avec froideur et justesse les terribles conditions des ouvriers. La mine, la construction des chemins de fer, les restaurants. Chaque fois, les contremaîtres traitent plus bas que terre les ouvriers, les font marner 12 heures par jour, les assoiffent en leur vendant leur limonade. Chaque fois, Joe Hill s'élève contre les patrons et les flics à leur solde. S'il ne peut pas parler en place publique, Joe Hill chantera sur l'air de Armée du Salut, défiant le pouvoir corrompu.

Joe Hill est tiré de l'histoire vraie de son personnage éponyme. Le héros du syndicalisme a inspiré une chanson à Joan Baez qui ouvre le film. Son destin sera funeste. Il sera accusé par le ministère de la justice de l'Utah d'un double meurtre. La dernière partie du film est consacrée à son procès à charge, chacun – patrons, bourgeois, police – voulant sa mort. Il sera donc condamné à mort. Les dernières séquences le montrent en prison, dessinant sur le plancher une carte des Etats-Unis et les lieux où il s'est rendu, autant d'endroits où il a égrainé sa colère. Ses chansons protestataires, son aura auprès du syndicat IWW (qui existe toujours) auront survécu à son exécution par les armes le 15 novembre 1915.
















lundi 25 avril 2016

Time and tide (Tsui Hark, 2000)

Tout commence par une grosse beuverie. Les cheveux de Tyler (Nicholas Tse) lui tombent sur les yeux, le jeune chien fou sert à boire à Jo (Cathy Tsui) qui vient de s’engueuler avec sa petite amie. Ils se provoquent, chacun parie que l’autre n’arrivera pas à boire plus que l’autre. Ils ne se connaissent mais trinquent ensemble. Ils picolent tellement qu’ils continuent leur soirée par la case vomi. Puis finissent par coucher. Au petit matin, vaguement dessoûlés, ils comprennent ce qui s’est passé.

Ellipse de neuf mois. Jo est enceinte ce que Tyler ignorait. C’est la copine de Jo qui, après l’avoir larguée, l’annonce au jeune homme. Il décide de gagner de l’argent pour aider la future maman. Pendant dix minutes, le film fait croire qu’il pourrait être une comédie romantique, mais son rythme propre évacue vite l’idée même de romantisme. Le rythme de Time and tide suit celui de Tyler, rapide, inconséquent, spontané, désinvolte, impulsif.

Trouver un boulot qui rapporte. Tyler va voir Ji (Anthony Wong) qui a une boite de sécurité illégale. Tout le monde sera en costumes cravate. Tyler aura un pistolet en plastique, c’est le sous chef qui cherche à humilier ce petit jeune arriviste. Le récit prend un tout humoristique notamment quand une grosse cliente décrit son agresseur avec les traits de Ji puis quand Tyler lui sert de chauffeur et qu’il fonce en marche arrière dans les rues encombrées de Hong Kong.

Il est temps de passer aux choses sérieuses et d’en arriver à cette sacoche pleine d’argent dont tout le monde veut s’emparer, ce fameux McGuffin qui sert de fil narratif. L’important n’est pas de savoir comment elle arrive dans le récit mais qui l’a présentement, comment il va tenter de la conserver et qui veut s’en emparer. A ce jeu-là, Tsui Hark noie le spectateur sous un flot d’informations et un grand nombre de personnages.

L’un des personnages phares de Time and tide est Jack (Wu Bai). On le découvre lors d’une mission de Ji et ses hommes. Ils ont été engagés pour sécuriser l’anniversaire d’un riche homme d’affaires. Toute sa famille et tous ses amis sont réunis. Jack est le petit ami de Josephine (Candy Lo), la fille de l’homme d’affaires qui, telle une fille prodigue, revient pour cette occasion vers sa famille après avoir claqué la porte et voulu vivre une vie indépendante.

Josephine est enceinte de Jack qui s’avère, en public tout du moins, être un homme très discret, peu enclin à parler. Mais son passé est trouble et fait venir dans l’histoire toute une bande de sud-américains bien décider à trouver la sacoche de pognon. Lors de cette soirée, on tente d’assassiner le père de Josephine. C’est le lancement d’une suite ininterrompue de gunfights. Tsui Hark, dans les 45 dernières minutes, filme des scènes d’action comme on n’en voit rarement.

Les points de vue se multiplient, un vieux à l’air vicieux, un jeune avec des dread locks, quelques gars bodybuildés : chacun des snipers surveille le logement. Le temps semble parfois suspendu comme dans The Mission auquel on pourrait comparer certaines scènes de Time and tide. Mais la folie de la vitesse prend vite le dessus dès le premier coup de feu tiré qui va faire exploser l’appartement. Wu bai virevolte entre les étages de l’immeuble ou dans les escaliers.

La mise en scène inspirée du wu xia pian est filmée avec la furie de The Blade, comme si Tsui Hark cherchait à faire passer cette mise en scène au montage ultra cut au forceps. Puis la bataille rangée se transporte dans une salle de concert. Au programme de cette séquence finale et électrique, le morceau de bravoure est l’accouchement de Josephine. Tyler qui fait ce qu’il peut pour mettre au monde le fils de son ami Jack. Le film boucle son récit commencé avec la conception d’un enfant.