mercredi 7 décembre 2016

Manille (Lino Brocka, 1975)

En juin, Insiang, histoire d'amour contrariée dans les bidonvilles, sortait en salles. Aujourd'hui, Carlotta récidive avec Manille tourné quelques mois auparavant par Lino Brocka, cinéaste stakhanoviste. Encore une histoire d'amour compliquée, encore des personnages déboussolés par la pauvreté, encore ce ton très documenté sur la vie aux Philippines au milieu des années 1970. Manille avait déjà fait l'objet d'une sortie française à l'été 1982 et cette version restaurée a été présentée à Cannes Classics.

La différence de taille entre Manille et Insiang est la distance entre les amoureux. Dans Insiang, ils étaient voisins mais toute la terre se liguait contre eux. Dans Manille, ils sont séparés dès le début. Julio (Rafael Roco Jr), 21 ans, débarque de sa campagne pour retrouver Ligaya (Hilda Koronel). Ils sont beaux, ils sont jeunes, ils s'aimaient dans le village où ils ont vécu toute leur vie. Elle est partie depuis plusieurs mois, ils se sont fait des promesses romantiques, il n'a plus de nouvelles d'elle, il file à Manille.

Grosse question pour Julio : comment survivre à Manille ? Le pauvre gars racontera à un de ses amis qu'il était débarque avec 137 pesos et qu'il s'est fait fauché son argent. Alors il va sur les chantiers, là où on construit des immeubles pour la génération du boom économique du dictateur Marcos. Le gentil Julio, le ventre bien vide, doit transporter des gravas dans une brouette sous une chaleur torride. Il est sera payé 2,50 pesos la semaine. Une misère. Les ouvriers racontent à Julio comment le patron les arnaque au salaire avec le système de prêt « Taïwan ».

Les conditions de travail constituent la toile de fond dans laquelle les personnages de Lino Brocka tentent de surnager. Il fait encore œuvre de documentaire, décrivant les salaires misérables, le travail abrutissant, les patrons esclavagistes, les accidents du travail, les logements et la promiscuité. Mais il décrit aussi la solidarité entre les ouvriers, l'amitié qui se crée entre eux et les espoirs de sortir de leur conditions. L'un rêve d'être chanteur, un autre fait des études, un troisième se souvient de son passé. Mais Julio ne pense qu'à sa douce Ligaya.

L'obsession, scandée comme un stroboscope dans un montage très rapide, pour son aimée le pousse à passer son temps libre au croisement d'une rue de Manille dans le quartier chinois. C'est la dernière adresse qu'il a sur l'unique lettre reçue de Ligaya. Il a repéré Madame Cruz (Juling Bagabaldo), sorte de mère maquerelle qui s'était présentée au village en promettant à la mère de la jeune fille monts et merveilles. Julio pense qu'elle est enfermée dans l'appartement de Ah Tek, un vieux Chinois pour lequel il a le plus grand mépris, avec une pointe de racisme.

Ligaya n'est pas visible pendant la première moitié du film, sauf dans les courts flash-backs de Julio, autant de souvenirs filmés à grands coups de chromos, de couchers de soleil, de sourires bienveillants sur une musique romantique. Lino Brocka oppose ce pur fantasme de carte postale avec deux séquences sexuelles, la première, toute en délicatesse, dans un bordel gay où Julio vient se vendre, la deuxième marque les retrouvailles entre les amoureux, Ligaya raconte sa vie depuis un an, ce récit est d'une grande violence pour le jeune couple qui comprend que leur histoire est finie avant même d'avoir commencé.

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