mardi 29 novembre 2016

Passion (Jean-Luc Godard, 1982)

« Qu'est-ce que c'est que cette histoire Monsieur Coutard ? », demande une voix dans Passion. Raoul Coutard, le chef opérateur de Jean-Luc Godard, répond, également hors champ. « Ya pas d'histoire. Tout est correctement éclairé, de gauche à droite, un peu de haut en bas, un peu d'avant en arrière. Ce n'est pas une ronde de nuit mais une ronde de jour éclairée par un soleil déjà bas sur l'horizon. » Raoul Coutard est décédé le 8 novembre, si j'ai tant tardé pour lui rendre un hommage, c'est parce que j'étais absent un certain temps, loin de mes DVD et aussi parce que je ne savais pas quel film choisir parmi les 14 films faits avec Godard.

En 1982, avec Passion il revenait travailler en Suisse dans un film qui est (nouvelle) vaguement le double inversé du Mépris, l'autre chef d’œuvre entre Coutard et Godard (ça rime). 20 ans plus tard, Michel Piccoli revient, Capri c'est fini pour lui, l'été c'était l'Italie, dans le canton de Vaud, c'est l'hiver et il est patron d'une usine. Pas loin de là, Jerzy Radziwilowicz tourne un film. Ce n'est pas Fritz Lang qui avait fui l'Allemagne nazie et qui tournait une adaptation de l'Odyssée, c'est un cinéaste polonais qui fuit Jaruzelski et qui tourne un film sur les peintures de Rembrandt. Passion c'est un film sur la lumière et sur le clair obscur.

La classe ouvrière bégaye et le patronat tousse, avais-je lu dans les Cahiers du cinéma au sujet du film. Isabelle Huppert ne fait pas que bégayer, elle joue aussi de l'harmonica, elle s'accroche à la vitre de la voiture de Jerzy pour discuter, elle veut voir le tournage de ce film, elle veut se battre contre son patron. Derrière sa parole saccadée, les voitures klaxonnent, le son, comme toujours chez Jean-Luc Godard, est polymorphe, assourdissant, bruyant, rebelle, soudain absent, la musique classique prend elle dessus puis elle est remplacée par des sons. Comme l'image, ça va de gauche à droite, de haut en bas et d'avant en arrière, c'est toujours surprenant et étonnant.

Le sujet de Passion n'est pas vraiment le son, mais la lumière, normal que Godard rappelle Coutard 17 ans après. D'abord le ciel nuageux transpercé par la fumée d'un avion, puis la Suisse rurale où les plans larges extérieurs succèdent abruptement aux gros plans des visages. Isabelle est sous une lampe d'intérieur (« mange ta soupe pépé ») qu'elle soulève pour mieux éclairer la pièce. Mais ce sont les reconstitutions des tableaux et des peintures qui fascinent le plus, filmées en studio, dans un décor volontairement faux, les acteurs traversent le cadre et aident les figurantes à enlever leur vêtements pour prendre la pose.

Michel Piccoli, Isabelle Huppert, Jerzy Radziwilowicz sont au centre du récit, encore à peu près élaboré et narratif, de ce tournage de film (ou plutôt de téléfilm, on est déjà dans les années 1980). Autour tournent une galaxie de personnages, Laszlo Szabo en producteur un peu fou, exigeant et impatient (l'équivalent de Jack Palance dans Le Mépris), Hanna Schygulla en actrice qui ne supporte pas de ce voir à l'écran, en l'occurrence sur une petite télé, Jean-François Stévenin en assistant de Jerzy, et aussi une contorsionniste très souple, des ouvrières et Raoul Coutard qui règle ses lumières le temps d'un plan.






























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