mercredi 2 novembre 2016

5 jours en juin (Michel Legrand, 1988)

J'espérais un film extravagant, plein de frivolité et de bizarrerie comme seuls les gens dont réalisateur n'est pas le premier métier peuvent en tourner. Après tout ce temps à travailler pour Michel Demy, Michel Legrand aurait pu faire un film un peu moins sage, un peu moins balisé. Mais peut-être est-ce mieux ainsi. Après tout, il raconte sa propre vie, en tout cas un moment clé de son adolescence en juin 1944, le passage vers l'âge adulte, un sujet classique au cinéma.

Tout commence le jour du débarquement allié, à Paris. En un plan séquence (histoire de bien montrer qu'il sait relever les défis), on découvre Michel (Matthieu Rozé, un peu insipide) passer un concours du Conservatoire. Il joue du Chopin. Il n'arrive que 3ème mais sa maman Marcelle (Annie Girardot) est bien fière de lui. Voici pour la partie autobiographique, les débuts « professionnels » de Michel Legrand, son acceptation par ses pairs. Mais l'Histoire compromet tout cela.

Ces fameux cinq jours dont parle le titre du film, ce sont ceux que mettront Marcelle et Michel à parcourir Paris à Saint-Lô, jusque chez eux. Impossible de prendre le train, les Allemands – ils commencent à fuir – ont tout bloqué. Ils piquent des vélos à la consigne et c'est parti pour un petit tour vers la Normandie, Michel avec sa cravate et Marcelle avec son petit costume. Ils ne font pas le voyage seuls, une jeune femme inconnue va faire ce périple à vélo avec eux.

Yvette (Sabine Azéma) est une jeune femme brune et pimpante, c'est elle qui pousse à piquer les bicyclettes. Ils se rencontrent dans un bar. Facétieuse et imprévisible, elle prétend être enceinte (mais c'est un coussin pour avoir une place assise), s'appeler Eva (comme Madame Hitler dit-elle) : un pur personnage de passeur, qui va transformer la vie de Michel et Marcelle. Elle les intrigue au plus haut point, elle les fascine avec sa folle liberté dont ils n'avaient jamais joui jusque là.

Yvette a le chic pour toujours trouver de quoi manger et boire à chaque relais. Elle n'a pas la langue dans sa poche et Sabine Azéma s'en donne à cœur joie dans son habituelle rôle de fofolle un peu excessive. Elle réplique aux hommes, leur dit leur quatre vérités, mais ne donne aucune vérité sur elle-même, ne révèle rien sur elle. Le soir, Michel Legrand filme son visage dans la nuit, en gros plan, ainsi que ceux de Marcelle et Michel, comme dans l'attente de ce que je ne sais quoi.

Autant le dire tout de suite, ce personnage de Sabine Azéma est là pour dépuceler Michel, cela se passera à côté d'explosions, de tirs de mitraillettes entre soldats allemands et américains, lors de l'avancée de l'US Army. Mais Yvette révèle aussi l'intérêt que lui porte Marcelle, comme une aventure saphique qui n'oserait pas vraiment dire son nom, évoquée avec délicatesse. Marcelle et Yvette dorment dans le même lit, elle se font des massages, elles se sourient.

Marcelle est un peu jalouse que Michel ait couché avec Yvette, mais elle en est heureuse également. Michel pour une fois ne vit que pour sa musique. Au fil de ces cinq jours, il trouve toujours un piano, un orgue dans une église, un jouet d'enfants pour faire de la musique. Il compose, mais l'aboutissement est la découverte, grâce à des GIs, du blues. Michel a enfin trouvé sa voie, ces 5 jours en juin ont transformé sa vie, il est devenu un artiste et n'a jamais revu Yvette.
















1 commentaire:

François AGNARD a dit…

Bonjour,
Admirateur inconditionnel de Mr Michel Legrand, j' avais hâte de voir cet unique œuvre cinématographique de l'auteur.
J'avais, au travers de l'excellente biographie de Stéphane Lerouge, été mis sur la piste... Je m'attendais à une œuvre naïve, , pétrie d'une grande sensibilité mais un brin maladroite.
Eh bien non. Une fois de plus le talent de Michel Legrand habite l'intégralité de ce film. Le casting intelligent des rôles principaux est au service d'un scénario sensible puisque autobiographique mais la construction bien que linéaire n'est jamais simpliste.
Seul mystère pour moi est cette volonté de ne jamais accompagner les images d'une musique même discrète. Encore une fois c'eût été trop facile de" tartiner" . En revanche , les dernières images sont d'une intensité ( Ray Charles une seule prise ente deux avions !... et Toots vertigineux comme toujours) qui nous rappelle enfin que c'est un musicien qui est derrière ce petit chef d'œuvre.
Sur la technique,retiendra le clin d'œil à Jacques Demy au travers de ce magnifique plan séquence qui accompagne le générique de début ( la musique sort du cadre la fenêtres et l'image vient l' y rejoindre ( interpénétration d'une sensualité assumée par l'auteur.. ).
Je tairais le quasi dédain de nos " élites" pour ce petit bijou qui, sauf erreur de ma part, ne fut jamais visible sur nos écrans polissés , et surtout pas à l'occasion du décès de l'auteur.
Et pour finir, qui, hormis Bertrand Tavernier, aura su capter si bien l'âme de la troublante Sabine Azema? À cet égard, le jeu fulgurant de la "mère" incarné par l'immense Annie Girardot est le catalyseur qui pousse Sabine Azema à vivre son rôle avec tant de talent.
Un concentré de talents devant et derrière la caméra. Pour moi, rien ne pêche.
Michel Legrand n'avait, à mon avis , plus rien à prouver dans ce domaine.
Cordialement
François