lundi 10 octobre 2016

Les Aventures de Rabbi Jacob (Gérard Oury, 1973)

Ça fait déjà presque deux semaines que j'ai regardé Les Aventures de Rabbi Jacob et je ne sais vraiment pas quoi en dire. Oh, non je ne l'ai pas regardé pour la première fois, j'ai beaucoup vu le film à la télé ado, et je l'ai regardé plusieurs fois en DVD depuis que j'ai le DVD édité en 2004. Bref, j'aime regarder Les Aventures de Rabbi Jacob mais je ne sais pas quoi en dire. Je pourrais établir une hiérarchie des gags qui composent le film, gags visuels, de situations, récurrents, d'autant qu'avec le personnage de Victor Pivert « pivert, comme un pivert » comme dit Louis de Funès en tapant de ses doigts tout en grimace (gag tout à la fois visuel, de situation et récurrent), il y a de quoi écrire. Pour une fois que de Funès n'avait pas à partager la vedette avec Bourvil ou Montand (je ne parle que des films de Gérard Oury), non seulement ses mimiques sont plus rares mais plus précises.

Ce qui m'a frappé le plus lors de cette dernière vision, c'est de me rendre compte à quel point le récit oblitérait tout réalisme pour créer un cosmogonie gaguesque assez inédite en France (Etaix ? Tati ? Bertrand Blier ?) tout en parlant de choses que l'on n'oserait plus évoquer de cette manière aujourd'hui. Le racisme crasse et ordinaire de Pivert, cet insupportable histrion arrogant, patron méprisant pour ses ouvriers (« une grève, vous avez qu'à tout leur promettre et moi je ne tiendrai aucune promesse » dit-il à son directeur d'usine), pour son employé Salomon (Henry Guibet) qu'il renvoie après avoir tenté de le frapper d'un coup de parapluie, et tout à la fois obséquieux pour les riches de ce monde. Il prévoit de marier sa fille Antoinette (Miou Miou) ce samedi avec le fils d'un général.

Un patron raciste et stupide, certes, mais plongé dans une mélasse informe où il rencontre un Arabe en exil et qu'on cherche à assassiner. Peu importe les menaces, Slimane (Claude Giraud) se promène tranquilou en plein Paris aux Deux Magots. Pas étonnant que le colonel Farès (Renzo Montagnani), cet homme « un gros huileux, frisotté, avec des petits yeux cruels, avec des lunettes noires, une vraie tête d'assassin » soit l'une des attractions majeures du film, bien plus intéressant que le personnage de Slimane. La description de ces « mauricauds » comme le dit Pivert est aussi excessive et donc vaine que celle des Juifs hassidiques qui prennent l'avion en plein sabbat, se comportent comme des stars de cinéma Rue des Rosiers et osent même parler aux femmes. Mais dès qu'on dépasse ce stade, dès qu'on est acclimaté, Les Aventures de Rabbi Jacob est l'un des films français les plus drôles qui soit.

En 1973, quand le film sort, la France n'est pas seulement dans le souvenir de l'affaire Ben Barka, elle vit sous Pompidou et sous la férule du ministre de l'intérieur Raymond Marcellin qui voit dans les maoïstes l'ennemi de la France (et il les interdira). Quand Pivert reconnaît une citation de Mao dans la bouche des révolutionnaires, ou quand il attribue une phrase du Che à Eddie Merckx (superbe gag dans l'usine de chewing-gum français le « Yankee », ironie), Gérard Oury s'amuse à brocarder tout autant Godard et le Groupe Dziga Vertov, les textes amphigouriques des Cahiers du cinéma que L'Aventure c'est l'aventure de Claude Lelouch, sorti un an plus tôt et qui cherchait à coller à l'humeur du temps. L'actualité rattrapera le film qui sort en pleine guerre du Kippour. Mais j'ai l'impression de croire que Les Aventures de Rabbi Jacob est une film politique, mais que penser de cette scène finale où Miou Miou dit à Slimane « rendez-moi mon voile » ?

Je serais bien embêté si je devais choisir un seul gag. « Mais vous êtes juif Salomon ? » « Oui, et mon oncle Jacob est rabbin » « ça fait rien, je vous garde quand même ». Cette phrase agit comme une formule magique, comme supercalifragilisticexpialidocious, comme Sésame ouvre-toi ou Follow the yellow brick road. C'est une transformation qui emmène Victor Pivert à devenir Rabbi Jacob, similaire au passage du noir et blanc à la couleur dans Le Magicien d'Oz, il entre dans un monde inconnu et merveilleux, loin de son monde étriqué et franchouillard. En devenant Rabbi Jacob, Pivert existe pour la première fois. Les Aventures de Rabbi Jacob devient alors un pur film de science-fiction où il fuit son ancien univers représenté par sa chère épouse Germaine (Suzy Delair), dentiste de profession, monstre armée d'une fraise qui terrifie ce pauvre Pivert à chaque coup de téléphone.

L'amusement peut alors commencer. Les facéties se succèdent à un rythme effréné et chaque spectateur aura son gag favori. Il apprend la langue « la pintire », est-ce la panthère ou la peinture ? Il rencontre des nouveaux amis « si on vous pose une question, répondez par une autre question ». Il se met à danser « Rabbi Jacob il va danser ». Et Jacob se fait aider, par Slimane devenu Rabbi Seligmann (l'homme heureux en allemand), avec son grand sourire et sa fine moustache. Mais les monstres arrivent, tous ceux qui ne comprennent pas Pivert, Germaine sa femme, Farès et ses sbires, le commissaire Andreani (Claude Piéplu) et le futur beau-père (Jacques François). Le Merveilleux s'arrête, le sortilège est rompu quand, au bout du film, Rabbi Jacob le faux rencontre enfin Rabbi Jacob le vrai (Dalio). Toutes les cartes ont été redistribuées, Pivert est meilleur qu'avant, c'est l'utopie du cinéma, c'est très beau ainsi.





































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