mercredi 12 octobre 2016

Je veux voir (Joana Hadjithomas & Khalil Joreige, 2008)

Je veux voir est probablement l'un des films de Catherine Deneuve le moins connu des ses dix dernières années. Mais je suis convaincu que ses 10051 spectateurs sont sortis de la projection ravis et étonnés, comme moi, par ce film où l'actrice joue son propre rôle, Catherine veut voir. Voir quoi ? Le Liban en ruine, le pays qui se reconstruit après la guerre de 2006. Elle observe Beyrouth de la fenêtre de son hôtel, de dos. Les deux réalisateurs sont là à discuter sur les dangers du voyage, mais elle se tourne et répond tout simplement « je veux voir ».

Elle a un chauffeur, Rabih Mroué, un acteur libanais qui travaille souvent avec Joana Hadjithomas et Khalil Joreige, ce qui n'est pas du goût de son garde du corps. Mais tout va bien se passer ! Elle demande poliment si ça ne le dérange pas qu'elle fume une cigarette. Elle allume sa Fine et déclare qu'ici, tout le monde fume. Ils ne savent pas trop quoi se dire. La caméra est placée à l'extérieur de l'auto, sur les pare-brises se reflètent les immeubles dévastés. Le trajet est coupé par des plans pris sur le vif, des habitants déambulent, certains déblayent les ruines à la main.

La voiture s'arrête, Catherine et Rabih en sortent, font quelques pas et là, soudain, sans qu'on ne le voit, quelqu'un vient frapper la caméra qui tombe. « On ne peut pas filmer cet immeuble » dit Joana devant le visage surpris de Catherine. Quelques rues plus loin, ils refont la scène, même résultat, on frappe la caméra. La fiction a du mal s'enclencher quand le réel surgit de nulle part. La séquence est avortée mais la violence documentaire a pris le dessus, Catherine s'y soumet plusieurs fois, près d'une route peut-être minée, devant la frontière israélienne.

Le voyage en voiture a un petit air de Kirostami avec ses vastes vallées vertes. Elle découvre les banderoles du Hezbollah au bord des routes ou sur les ponts. Ils s'arrêtent dans le village où est né Rabih. Tout est dévasté. Il ne se souvient pas où se trouve la maison de sa grand-mère. Il farfouille partout. Il lâche Catherine qui se sent un peu perdue au milieu. Plus loin, Catherine, après s'être assoupie, se fait prendre en photographie par des soldats de la FINUL. Le duo de réalisateurs essaie désespérément de faire un peu de fiction en poussant Catherine et Rabih à aller sur une route interdite. Peine perdue.

Si la tension est palpable, si l'émotion est discrète, Je veux voir étonne aussi par un humour léger mêlé de poésie. Rabih se met soudain à déclamer une réplique de Séverine dans Belle de Jour puis la traduit en arabe. C'est un moment de pause avant de revenir à Beyrouth. Catherine troque son pantalon et sa veste marrons pour revêtir une robe de soirée. Elle est l'invitée de marque de la réception de l'ambassadeur. Son regard final échangé avec Rabih est chargé d'une force et d'une beauté ineffable. Seule Catherine Deneuve en avait la puissance.



















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