jeudi 13 octobre 2016

Captain Fantastic (Matt Ross, 2016)

« L'enfant est mort, il laisse la place à un homme. » Le rituel du passage à l'âge adulte se produit au milieu de la forêt, dans les montagnes de l'état de Washington. Tous les visages sont mâchurés de boue, les fringues aussi, ça court dans tous les sens et la caméra à l'épaule suit la petite troupe. Six enfants et le père, Ben (Viggo Mortensen), tend à son fiston aîné un bout de foie d'un chevreuil qu'ils viennent juste de tuer, tous ensemble, à Bo (George MacKay). Et Bo croque un morceau de la viande. Le rituel fini, tous vont se laver dans l'eau claire des torrents.

Cette entrée en matière de Captain Fantastic laisse supposer que Ben, super-héros pour ses enfants, et sa famille vivent comme des sauvages, mais une fois débarbouillés, tout le monde rejoint la maison, une sorte de yourte où chacun à sa tâche. Les deux plus grandes filles dépiautent le chevreuil, les plus petits préparent les légumes. Le soir, après manger, la famille autour du feu lit des livres et par n'importe lesquels. C'est pas Martine au camping, non c'est plutôt Les Frères Karamazov, de la philosophie. Et les discussions sont du même tonneau, de haute tenue.

Les premières minutes du film sont dédiées à la description ruthmée mais minutieuse de ce mode de vie en forêt. On découvre d'abord les prénoms des enfants. Bo s'appelle en vérité Bodivan. Il expliquera plus tard que ses parents ont créé ce prénom pour qu'il soit unique. Et les autres se prénomment Kielyr (Samantha Isler), Vespyr (Annelise Basso), Rellian (Nicholas Hamilton), Zaja (Shree Crooks) et Nai (Charlie Shotwell). Les voilà par ordre de naissance, des plus grandes au plus petit, tous fringués comme bon leur semble, couleurs bigarrées et tenues baba-cool.

Ce mode de vie marginale consiste à apprendre à penser par eux-mêmes (et le film nous en donnera plusieurs fois l'exemple dans ses scènes à haute teneur comique), ils semblent avoir tout lu dans cette Amérique que le père conspue au plus haut point, un peu comme la famille de A bout de course de Sidney Lumet, mais sans être recherché par la police, ou celle de The Wolfpack de Crystal Moselle, mais transposé en plein air. Le père et les enfants font également chaque jour des exercices physiques et de la méditation.

Jusqu'à présent le point de vue est positif sur la communauté, ou la famille. Ils descendent régulièrement dans la « civilisation » pour vendre quelques objets. Et pour prendre des nouvelles de la mère, Leslie, dont a bien vu qu'elle était absente. Un coup de fil apprend que Leslie est morte, qu'elle s'est suicidée à l'hôpital. La manière dont Ben l'annonce aux enfants laisse sans voix, il leur parle comme à des adultes, et encore, on annonce rarement la mort d'une mère à des adultes avec autant de distance et froideur.

La nouvelle suivante est encore plus terrifiante, le père de Leslie (Frank Langella) refuse que Ben vienne à l'enterrement. Qu'à cela ne tienne, la famille embarque dans Steve, c'est le nom du car qui leur sert de véhicule (décidément les prénoms sont un sujet en soi), en bon anarchiste (ou quoi qu'il soit), Ben file donc au Texas, tout un continent à traverser, du nord au sud. Les enfants découvrent pour la première fois ce monde qui traîne des deux côtés de l'autoroute, ces zones commerciales immondes, ces panneaux publicitaires hideux et ces restaurants à la bouffe dégueulasse.

Ben est le capitaine de ce road-movie aux allures de parcours initiatique pour les enfants. Amour, rébellion, religion, découverte des obèses, rencontre avec la famille, tout est l'occasion de notes, de saynètes amusantes qui laissent petit à petit apparaître quelques fractures chez les enfants. Des fractures parfois béantes. L'affiche fait penser à un film de Wes Anderson, il en est très loin, le titre ironise Captain America. Il faut aller voir l'épatant Captain Fantastic ne serait-ce que pour voir une famille de hippies chanter a cappella Sweet child o' mine de Guns 'n Roses.

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