samedi 24 septembre 2016

Brooklyn Village (Ira Sachs, 2016)

Le téléphone sonne. Jake (Theo Taplitz), 13 ans, vient de rentrer du lycée. Il décroche. Son interlocuteur, un vieil homme, lui demande quand aura lieu l'enterrement de son grand-père. Jake, interloqué, ne comprend pas. Il ne sait pas que son grand-père est mort. Ainsi Brooklyn Village (titre français de Little men) se lance par un décès qui va avoir une conséquence toute simple et sur laquelle repose le film : Jake et ses parents, Brian Jardine (Greg Kinnear) et Kathy (Jennifer Ehle) vont quitter leur appartement de Manhattan pour s'installer à Brooklyn dans l'appartement de feu le grand-père dont Brian a hérité.

Tout va changer dans la vie du timide Jake. Au milieu de ses camarades de classe qui chahutent bruyamment, il est isolé, le seul à rester assis derrière son bureau en train de dessiner. Le professeur entre dans la classe, passe dans les rangées et demande à Jake pourquoi il a dessiné un ciel vert. La liberté de l'artiste en herbe. Chez lui aussi, Jake passe son temps à dessiner. Les feuilles s'accumulent sur son bureau. Son père l'encourage à poursuivre dans cette voix, d'ailleurs Brian est aussi artiste, un acteur pas franchement connu, un comédien de théâtre qui répète La Mouette de Tchekhov.

La rencontre qui va changer la vie de Jake est celle de Tony (Michael Barbieri), ado du même âge, un jeune gars d'origine chilienne qui vit avec sa mère. Son père est médecin et travaille en Angola. Il ne le voit quasiment jamais. Tony sur son skateboard et Jake sur ses patins à roulettes sympathisent immédiatement. Ils se promènent dans le quartier de Williamsburgh. De temps en temps, Tony joue avec ses potes au basket. Jake les observent mais ne joue pas. Les autres garçons se moquent un peu de lui, percevant sans doute qu'il est gay. Mais Ira Sachs suggère qu'il est, il n'appuie pas sur cet aspect.

Après les amours complexes dans Keep the lights on (deux hommes d'une vingtaine d'années), les déchirements de Love is strange (deux hommes âgés forcés de ne plus habiter ensemble), Brooklyn Village évoque une amitié naissante entre deux adolescents que tout oppose. Jamais il ne sera vraiment dit si Jake est amoureux de son nouvel ami qui passe son temps à regarder les filles, sans vraiment grand succès comme la scène de la boom le montre. Cette délicatesse de la description de ces deux « petits hommes » est la plus grande qualité du film. Ils grandissent ensemble, s'influencent et envisagent d'entrer dans la même école artistique.

Le grain de sable qui empêche la machine de tourner rond vient du magasin de fringues tenu par la maman de Tony. Leonor (Paulina Garcia) est locataire de cette boutique située sous l'appartement de Brian et Kathy. Et Audrey (Talia Balsam), la sœur de Brian aimerait pouvoir augmenter le loyer. Ira Sachs évoque la gentrification qui transforme Brooklyn. La bataille d'arguments entre Leonor et les Jardine d'abord en sourdine, en sourires polis, se transforment en violence larvée, en remarques mesquines, en rendez-vous manqués. Et ce sont les deux ados qui trinquent. Les parents refusent qu'ils se voient, qu'ils se fréquentent.

Ira Sachs et son scénariste Mauricio Zacharias ne le cachent pas, leur beau mouvement scénaristique est directement inspiré de Bonjour de Yasujiro Ozu. Jake et Tony font la grève de la parole ce qui a le don d'irriter prodigieusement les parents. Dans le film, cela amène un peu de légèreté au milieu de cette tension. Ce silence, pensent les deux petits hommes, devrait forcer les grandes personnes à discuter entre elles. Mais la vie est rarement comme dans les films, tout ne se passe pas aussi bien. Dans son finale mélancolique, Brooklyn Village se tourne vers l'art pour protéger ses deux ados de la réalité du monde.

Aucun commentaire: