samedi 13 août 2016

La Rivière rouge (Howard Hawks, 1947)

La Rivière rouge contient l'une des scènes les plus connues du western. Matt Garth (Montgomery Clift) rencontre pour la première fois Cherry Valance (John Ireland). Ce dernier s'approche et lui dit « Belle arme, je peux voir ? ». Ils se regardent dans les yeux, Matt se frotte le nez, esquisse un sourire et tend son revolver. « Regarde la mienne », dit Cherry en donnant son colt. « Superbe », répond Matt. Ils sont tous les deux dans le même plan, à quelques centimètres l'un de l'autre, jaugeant leur flingue comme si c'était leurs parties intimes. Et le dialogue continue sur le même ton ambiguë : « Deux choses surpassent une bonne arme. Une montre suisse ou une femme de n'importe où. Tu connais les montres suisses ? » dit Cherry avec un sourire entendu.

Puis, il essaient les armes, tirent sur une boîte de conserve qu'ils font valdinguer en l'air, heureux comme des gamins qui n'attendaient que de se reconnaître, « Very good », « That's good too, keep on doing », se disent-ils au bord de l'extase de tirer si bien. « I see what you be now », traduit par « je vois qui tu es maintenant », omettant la faute de langage du pur bouseux qu'est Cherry qui estime qu'il est aussi bon que lui. Matt confie que c'est Dunson (John Wayne) qui lui a tout appris. Tout cela se fait sous le regard de Groot (Walter Brennan). La scène reste mémorable pour ce thème cher à Howard Hawks de l'amitié virile. Malgré son importance en début de film, le personnage de John Ireland sera quasiment absent du récit de La Rivière rouge.

Avant cette séquence, Howard Hawks présente les rapports entre Thomas Dunson et Matt Garth. Ce dernier était un gamin quand Dunson l'a connu, un orphelin qu'il a pris sous son aile. Dunson avait alors quitté la femme qu'il aime, après lui avoir donné son bracelet fétiche, pour une nouvelle vie, embarquant avec lui Groot, le vieux cuistot râleur au dentier incertain (le gag récurrent du dentier qu'il perd au jeu compose avec le chef Indien Yowlachie le meilleur duo comique de La Rivière rouge). Fidèle ami, Groot passe 14 ans (de 1851 à 1865) à construire avec Dunson un ranch de bœufs à partir de deux bêtes. L'une est à Garth, l'autre à Dunson. Ce dernier les fait marquer d'un D suivi du symbole d'une rivière. Dans une ellipse, Dunson évoque cet empire qu'il a bâti à partir de presque rien.

Le personnage qu'incarne John Wayne est une figure mosaïque, une variation du prophète qui emmène son peuple et son troupeau à travers le désert et les prairies, du Texas au Missouri. Sa force est qu'il est un leader né, réunissant une quarantaine d'hommes pour mener un millier de bêtes. Il a le charisme pour imposer ses ordres, y compris à Matt qui, malgré son corps frêle (je ne me rappelais pas à quel point Montgomery Clift était si ridiculement maigre), entend bien se faire respecter de son aîné, ce père d'adoption, d'autant qu'il revient de la guerre de sécession. Bref, il est devenu un homme mais pas encore son égal. La faiblesse de Dunson est justement son intransigeance face aux tables de la loi qu'il a lui même fixées. Dunson exige l'obéissance absolue à ses commandements : suivre le parcours initial, ne pas déserter, ne pas le contredire.

Dunson est le héros le plus négatif de tous les films de Howard Hawks. Son slogan est simple : il tue celui qui s'oppose à lui, il l'enterre puis lit un passage de la Bible. Je ne crois pas que John Wayne n'ait jamais joué un personnage aussi antipathique. Le sommet de sa rigueur apparaît lors d'une scène nocturne. Les dialogues viennent d'expliquer que le silence doit régner, histoire de ne pas effrayer les vaches et les bœufs. L'un de ses hommes, un jeune, a pris l'habitude de grappiller du sucre dans le garde-manger de Groot. Les assiettes en métal sont renversées par sa faute. Les bêtes s'enfuient pendant la nuit (tiens, j'ai pensé à l'attaque des insectes dans Starship troopers). Les pertes sont importantes et Dunson décide de punir le jeune homme par le fouet (encore une fois Starship troopers).

Jusqu'à présent, personne n'a osé contredire Dunson. Il reste le maître absolu. Enfin, Matt ose se mettre en porte-à-faux et suggère le bannissement plutôt que le fouet. Martyriser les hommes, épuiser les bêtes, humilier Matt et Groot. Quand trois hommes désertent et que Dunson leur promet la pendaison, Matt prend le pouvoir et chasse Dunson. La réplique du patriarche ne tarde pas « Chaque fois que tu te retourneras, attends-toi à me voir, parce qu'une fois tu te retourneras et je serai là. Je te tuerai, Matt. » La force de Howard Hawks est de transformer le dernier quart de La Rivière rouge en suspense métaphysique où la tension est à peine atténuée par l'arrivée du seul personnage féminin du film Tess Millay (Joanna Dru) qui, logiquement en tant que « femme de n'importe où », suggère de régler tout ça au lit plutôt que dans un duel entre deux flingues.























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