jeudi 12 mai 2016

Simon du désert (Luis Buñuel, 1965)

Simon du désert est mon Buñuel mexicain préféré, un film qui amorce ses films écrits par Jean-Claude Carrière où le réalisme absurde provoque un retournement des sens. Simon (Claudio Brook, qui joua la même année un pilote anglais dans La Grande vadrouille) est un ermite qui se tient sur une colonne, en plein désert, depuis six ans, six mois et six jours (666, un signe qu'il ne semble pas détecter). Il cherche à se rapprocher de Dieu grâce à son ascèse, il ne désire rien qu'autre que prolonger une pureté, il veut se repentir de tous ces péchés.

Nous sommes dans un lieu et une époque du bas moyen-âge, on y entend des noms anciens, on y évoque Rome bientôt assiégée (par qui, des hérétiques ?). Bref, Simon du désert décrit un monde de piété absolue, donc impossible, comme le montre cette scène où les moines, portant des frocs grossiers surmontés d'un mantelet décorés de croix, se jettent des anathèmes « vive l'apocatastase ! » « à bas la Sainte Hypostase », toutes ces choses qui avaient tant d'importance dans les premiers temps des Chrétiens.

Simon se voit offrir de pratiquer son ascèse sur une colonne encore plus haute. Il descend de la première, monte par l'échelle sur la seconde. Il croise sa mère qui pourra vivre dans une cabane au pied de la colonne, jusqu'à sa propre mort, quel honneur. Et les moines et le peuple vient réclamer un miracle. Un homme amputé des deux mains va les récupérer, et avec elles, sa méchanceté naturelle qui l'avait probablement condamnée à se voir trancher les mains. Tout le commentaire sur la religion du film se joue sur ces contrastes entre la parole et les actes.

Ainsi parmi tous ces moines qui viennent s'agenouiller devant Simon, tous sont barbus, sauf Mathias, l'un des plus enjoués, le moine novice qui est encore imberbe et que Simon chasse devant son absence de poils. La logorrhée de Simon se déverse sur tout ceux qui constituent, à ses yeux, des obstacles à sa pureté. Pauvre Mathias qui apporte à manger à l'ermite et qui se voit rabrouer, pauvre Mathias le vierge qui croise le nain gardien de chèvres qui évoque toute la tendresse que le berger donne à son animal.

L'aliénation de Simon atteind son paroxysme quand il reçoit la visite du démon. Le génie de Luis Buñuel est de faire de son actrice Sylvia Pinal l'incarnation du diable. Elle rendra visite quatre fois à Simon. D'abord en porteuse d'eau, invisible des moines. Puis en enfant des années 1940, créant un redoutable anachronisme, le démon joue comme une petite fille, utilise un langage puéril avant de montrer sa poitrine et ses jambes à Simon. Là encore, ce contraste fait merveille, l'enfant tentatrice face à l'éternel vierge, la parole bigote face aux babillages.

Le démon prend de nombreuses formes, se déplace dans l'espace comme dans le temps, Sylvia Pinal porte un agneau dans les bras, signe de pureté, puis lui donne un coup de pied. Elle se déplace dans un cercueil. Elle se transforme en vieille femme nue. Simon voulait trouver l'ascèse et le paradis, le démon va l'emmener dans l'enfer, une boite de nuit remplie de jeunes gens dans le New York contemporain. Mine de rien, en 43 minutes, Simon du désert est l'une des œuvres les plus belles et drôles sur l’aberration et le grotesque de la religion.





















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