jeudi 28 avril 2016

Nos souvenirs (Gus Van Sant, 2015)

Les quolibets qui ont suivi les projections de Nos souvenirs au Festival de Cannes 2015 (alors simplement titré The Sea of trees) ont retardé de près d'un an sa sortie en salles. La presse aurait sifflé le film lors de sa présentation. Qu'on se rende compte, Gus Van Sant n'aurait pas fait un énième film sur des adolescents en skateboard, ou un chanteur junkie ou des lycéens meurtriers. Au lieu de ça, Arthur (Matthew McConaughey) un prof de sciences qui décide de tout plaquer pour prendre un avion sans aucun bagage, s'envoler au Japon et pénétrer dans une forêt malgré les panneaux qui en interdisent l'entrée.

Les quinze premières minutes de Nos souvenirs se présentent sans un seul mot, mais avec un beau design sonore. On n'entend que le son des pas d'Arthur sur le sol et une musique planante et inquiétante, la caméra suit son personnage dans ce parcours d'abord balisé par des pancartes, un chemin en forme de serpent composé de planches, des cordes de toutes les couleurs, jusqu'à ce panneau qui indique la fin de la promenade. Arthur franchira la barrière et s'avancera plus profondément dans la forêt, de plus en plus épaisse, avec des arbres immenses que Gus Van Sant filme comme un prison dans laquelle Arthur va s'enfermer.

Tandis qu'il s'enfonce, l'obscurité s'impose, puis c'est le froid. Et sur le sol, il remarque des objets disparates, et un corps. Dans cette forêt juste à côté du mont Fujiyama, les gens désespérés viennent se suicider. Et tout à coup, Arthur croise un homme, un Japonais (Ken Watanabe), qui – miracle – parle anglais. L'homme est blessé, il titube. Arthur lui donne sa large veste beige pour le réchauffer, il déchire une manche de sa chemise pour soigner ses blessures aux poignets. Le Japonais veut retrouver le chemin pour partir d'ici au plus vite, mais le chemin a disparu. Ce sont des naufragés au milieu de cette mer d'arbres.

Comme dans tous les films de Gus Van Sant, la marche de ses personnages est le moteur du récit, Gerry (autre film bien moqué à l'époque et qui sortit en salles deux ans après sa production, et encore grâce à la Palme d'or à Elephant) est son film où la marche est poussée dans la plus grande abstraction. Nos souvenirs souffre d'un grave défaut : tout est expliqué à grands coups de flash-backs. On découvre la vie d'Arthur dans la Massachusetts, sa vie de couple avec son épouse (Naomi Watts) alcoolique et atteinte d'une tumeur. Leurs disputes tout comme leur amour sont étalées au premier degré. De la guimauve.

Pour ma part, cette idée de deux naufragés au milieu d'une forêt peuplée de signes mortifères me plaît beaucoup plus que les séquences de la vie de couple. On remarquera que les scènes de jour au Japon s'oppose aux séquences de nuit des flash-backs, et inversement quand la nuit arrive et que l'obscurité devient totale sur l'écran. La marche d'Arthur et du Japonais dure quelques heures où ils ne cessent de trébucher, de s'esquinter, de se blesser, de crever de faim et de froid. Gus Van Sant touche à un fantastique, énonce un lieu mystérieux où l'on comprend assez vite la vraie nature du Japonais.

Le choix de Gus Van Sant de faire de Matthew McConaughey sa victime expiatoire est étonnante. L'acteur texan est plus habitué (et je ne parle que de ses films depuis Tonnerre sous les tropiques et non des ses rôles sans chemise) aux grandes gueules qui foncent dans le tas. Gus Van Sant prend un malin plaisir à le faire porter les vêtements des suicidés qu'il découvre aux recoins des bois, à le couvrir de boue et d'eau. Mais le plus important, il lui fait dire « qu'en tant que scientifique, il pense que Dieu n'existe pas », exactement l'inverse de ce que disait son personnage dans Contact de Robert Zemeckis, plus proche de ses convictions religieuses. Un vrai rôle de composition.

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