mercredi 6 avril 2016

Les Funérailles des roses (Toshio Matsumoto, 1969)

Plonger dans Les Funérailles des roses, c’est se retrouver dans un autre espace-temps, un cinéma qui n’est ni narratif, ni documentaire, ni expérimental, mais un peu tout cela à la fois. Film hybride comme il s’en faisait beaucoup dans la nouvelle vague japonaise mais qui est resté dans les mémoires à cause de son sujet, somme toute rarement abordé, les travestis. Eddie (Peter), jeune et joli travesti est suivi à la trace dans sa vie amoureuse, dans son travail et dans sa vie familiale. Eddie sort avec un homme plus âgé, qui semble être son patron. Il bosse dans un night-club avec d’autres travestis. On découvre cette vie nocturne où des clients viennent s’encanailler loin de leurs foyers, loin de leurs femmes. Les jeunes travestis les divertissent avec leurs jeux de séduction auxquels personne n’est dupe.

A priori, ce night-club ne cache pas un réseau de prostitution mais se distingue des autres boites de nuit, justement parce que la clientèle est gay. Face caméra, les travestis (Eddie et ses amis) répondent tant bien que mal à quelques questions maladroites sur leur mode de vie « allez vous vous habiller en femmes toute votre vie ». En parallèle, des images de manifestants réprimés par la police sont montrées. On est en pleine guerre du Viet-Nam et certains étudiants, comme les travestis qui regardent une manif silencieuse et hiératique, ne veulent plus des règles de ce monde. Le film refuse de la même manière la narration traditionnelle, la fiction habituelle. Ici, seules des bribes de récit (la vie d’Eddie, la jalousie de Leda, le pouvoir de Rabbit) est le fil conducteur du film. Tout est déstructuré comme la mise en scène, comme la vie d’Eddie, comme la société japonaise de 1969. Il fallait alors surprendre le spectateur, le mettre mal à l’aise et faire dans l’originalité. En fait, le film retombe un peu trop facilement sur ses pattes et finit par être classique.

Toute une panoplie d’effets est mise en œuvre pour rendre Funérailles des roses original. La peau d’Eddie et de son amant sont filmées de très près, dans une lumière quasi blanche, comme surexposée (le film est en noir et blanc). Régulièrement, une scène est coupée cut par une image qui intervient de manière quasi subliminale (une ligne d’hommes nus, une photo de famille où le visage du père brûle, le numéro de visa en gros plan). On y découvre une courte scène où une femme saigne de l’abdomen, image récurrente qui s’avérera être celle de la mère d’Eddie. A de nombreuses reprises, un vase rempli de roses tombe sur le sol au ralenti. Deux fois, pour donne un effet comique, la scène est accélérée : une fois sur une danse de French cancan, plus tard dans une baston entre travestis et rockeuses. Le réalisateur rend évidemment, avec toute cette variété d’images, hommage à plusieurs cinéastes parmi lesquels Jean-Luc Godard et Ingmar Bergman dont les ombres planent de manière évidente.

Film cerveau, celui d’Eddie un peu dérangé, Les Funérailles des roses alterne l’humour et la plus grande tristesse. Sans dévoiler le finale, on comprend qu’Eddie aie la haine de la société dans laquelle il vit. Eddie se cherche et le réalisateur multiplie les scènes avec des miroirs. A commencer par celle de la réplique dans Blanche Neige et les sept nains. Plus tard, Eddie fera l’amour avec son patron devant un miroir ou il fera une confession face à la caméra qui s’avère être une mise en abyme. Enfin, il s’embrassera dans un miroir après s’être maquillé et se ramassera une grosse gifle de sa mère. Les dialogues sont décousus, ce qui procure encore plus de mystère et la musique typique de cette période évoque les expérimentations musicales de Richard Wright dans les albums de Pink Floyd (More, Ummagumma) du même millésime. Bref, Les Funérailles des roses est à la fois intrigant, démodé, intéressant, trop long, fascinant, sublime et cucul la praline. Un film incontournable.






















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