jeudi 7 avril 2016

L'Avenir (Mia Hansen-Løve, 2016)

Ah, enfin un film à Paris ! Je constatais la semaine dernière que de nombreux films abandonnaient Paris pour la province. Filmer Paris, ça veut dire pour moi pas seulement faire se dérouler l'action là-bas, mais aussi inscrire ses décors, le domicile des protagonistes, leur lieu de travail puis de loisir et le trajet entre ces trois éléments dans le scénario. Mia Hansen-Løve fait de Paris la place centrale de L'Avenir, son film – son meilleur – ne pourrait pas se passer ailleurs.

Nathalie (Isabelle Huppert) en avale des kilomètres, elle ne cesse de courir dans tous les sens, dans toutes les directions, du matin au soir. Chez elle, dans son grand appartement des Hauts de Seine, elle fait le tour des pièces, de l'immense bibliothèque chargée de livres de philosophie à sa cuisine où elle improvise une poularde pour Noël au salon où elle se pose à peine quelques secondes. Isabelle Huppert semble ne jamais s’asseoir plus de quelques secondes.

Dans Paris, elle enseigne la philosophie dans un lycée près du bois de Vincennes, un lycée populaire quand son mari Heinz (André Marcon) l'enseigne à Henri IV, lycée huppé du centre de Paris. Nathalie prend le métro, parfois le bus, traverse les couloirs et se voit refuser, en début de film, l'accès au lycée par des grévistes lycéens bien revendicatifs. Le film se déroule sous la présidence Sarkozy. Nathalie vient chercher, à grandes enjambées, les élèves qui tentent de venir à son cours.

Pendant ces grèves, l'enseignante et les élèves préfèrent faire cours sur les pelouses du parc de Vincennes. Le téléphone de Nathalie sonne toutes les trente secondes, c'est sa mère (Edith Scob) qui harcèle sa fille pour un oui pour un non. Menace de suicide (les pompiers n'en peuvent plus), un objet égaré (où est son vison), un ennui mortel à combler. La maman accable sa fille de sa présence. Là encore Nathalie jongle avec les trajets pour soulager sa mère.

Autre parc, autre personnage. Dans les Buttes Chaumonts, Nathalie rencontre Fabien (Roman Kolinka), l'un de ses anciens élèves, thésard baba-cool. Ils se tutoient et se voient de plus en plus. Elle tient une collection sur la philosophie chez un petit éditeur, dont les nouveaux gérants veulent tout révolutionner (aussi revendicatifs que les lycéens mais bien plus obséquieux), elle veut publier Fabien, lui aussi personnage qui ne cesse de se déplacer, surtout en vélo.

Si L'Avenir quitte Paris et ses rues, c'est pour aller sur la tombe de Chateaubriand (flashback d'ouverture), c'est pour se rendre en grande banlieue quand Nathalie loue à sa mère un appartement dans une luxueuse résidence de retraités (elle culpabilise un peu mais pas trop) puis pour voyager dans le Vercors (métro, TGV, TER Rhône-Alpes, voiture) pour y accéder. Fabien vit désormais là-bas avec une bande d'autres étudiants philosophes qui causent philosophie en allemand.

Cette partie dans le Vercors où Nathalie emmène le chat noir obèse de sa maman n'est pas une évasion hors de Paris. Elle y va parce que plus rien ne la retient à Paris, ni ses enfants maintenant adultes qui mènent une vie banale, ni sa mère maintenant en maison de repos, ni Heinz qui a une maîtresse. Fabien subit la très forte influence de Nathalie et reproduit, sans s'en rendre compte, au beau milieu des montagnes du Vercors le schéma familial de Nathalie alors qu'il croit devenir un révolutionnaire.

L'une des plus belles scènes de L'Avenir arrive quand Heinz a enfin quitté l'appartement conjugal. Nathalie avait déjà pesté contre les roses qui trônaient au milieu du salon, une habitude que son mari n'a pas perdu. Cette fois, elle constate qu'une bonne partie des bouquins de la bibliothèque ont été emportés par Heinz. Isabelle Huppert a le ton juste, la bonne intonation, le visage parfait et la posture précise pour faire de cette scène un moment de cocasserie, de désespoir et de drôlerie.

Les films de Mia Hansen-Løve ne m'avait jusqu'à présent jamais convaincus, ses deux derniers étaient plombés par l'absence de charisme de ses interprètes. L'Avenir regorge de répliques et situations de comédie, avec au centre Isabelle Huppert en très grande forme. Depuis quelques films, Huppert faisait du Huppert et les cinéastes la laissaient faire. Je ne l'avais pas vue aussi vive et subtile depuis longtemps, j'oserais dire depuis La Cérémonie de Claude Chabrol (ou presque).

Aucun commentaire: