lundi 4 avril 2016

La Sociologue et l'ourson (Etienne Chaillou & Mathias Théry, 2015)

Depuis l'adoption et la promulgation de la loi du mariage pour tous, le cinéma n'a pas été capable de produire un seul bon film sur le sujet. J'évoquais le mariage gay à la fin de Les Tuche 2, mais qui se déroule à La Vegas. Dans Tout première fois de Noémie Saglo et Maxime Govare, sorti en janvier 2015, un gars (Pio Marmaï) prévoyait de se marier avec son mec (Lannick Gautry) – le film aurait donc célébré le premier mariage gay de la fiction française – jusqu'à ce que le premier décide qu'en fait il préfère les filles. Et depuis, que dalle. Du côté du documentaire, c'est guère mieux, à part quelques reportages militants où l'on compare les droits avec ceux des autres pays, où les témoignages (forcément) poignants se succèdent.

La Sociologue et l'ourson prend une option différente et intéressante. Parmi ses deux réalisateurs, Etienne Chaillou et Mathias Théry, l'un d'eux est le fils d'Irène Théry. Elle a fait partie du comité d'éthique rencontré par l'Assemblée Nationale lors des auditions préalables à la discussion des parlementaires. Ainsi est faite la démocratie française, on discute du projet avant d'écrire la loi. Elle une sociologue réputée, spécialiste de la famille. C'est à ce titre que son fiston de réalisateur l'interroge et sur ce sujet. La première question concerne le mariage en France depuis un siècle, mariage de façade, de raison, d'argent ou d'amour, Irène Théry explique très simplement que chaque époque a donné une fonction différente au mariage.

Ce qui plaît particulièrement dans le discours d'Irène Théry n'est pas seulement sa limpidité, c'est qu'elle ne propose jamais des solutions toutes faites. Elle déclare elle-mêmes que ses opinions ont évolué au fil du temps. Son discours s'oppose donc modestement aux intransigeances de ses adversaires (Manif pour tous, Finkelkraut, Frigide Barjot etc) qui se prévalent d'un mariage inamovible, éternel et intangible. « Le mariage est ainsi depuis des millénaires, il ne faut pas y toucher » était l'argument le plus souvent débité par les opposants, juste après qu'ils aient déclaré la larme à l’œil qu'ils n'ont rien contre les personnes homosexuelles.

Irène Théry ne cherche pas à démonter les arguments des autres, elle les traite tout simplement de mensonges, avec une candeur et un humour qui font plaisir. Faire trois ans après un documentaire sur les six mois de débats publics et à l'assemblée nationale autour du mariage pour tous sert à montrer à quel point les médias ne semblaient donner la parole qu'aux gens de la Manif pour tous. Il suffit de voir les unes des magazines reproduites dans le film. Il est tellement plus facile, faut bien le reconnaître, de faire du sensationnel, de laisser la parole aux grandes gueules plutôt que de faire de la sociologie et d'écouter des gens raisonnables. Le cinéma donne la parole à ceux qui ne l'avaient pas à la téloche.

Trois ans après, on se demande comment autant de conneries ont pu être proférées partout à la télé, à la radio et dans les manifs. Et je ne dis rien sur les débats parlementaires. Pour les montrer, le film adopte une belle forme, cocasse et souvent irrésistiblement drôle, celle du film de marionnettes. Chaque intervenant se voit attribuer une peluche. Elles sont animées dans un décor de carton au son des paroles réelles des uns et des autres. Cette distance permet d'apaiser les discours et donne au film un visuel rare dans le documentaire (un peu comme L'Image manquante de Rithy Panh), son ton est proche de celui de Merci patron ! de François Ruffin. Je souhaite au film d'Etienne Chaillou et Mathias Théry le même succès.

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