lundi 11 avril 2016

Le Chant d'une île (Joaquim Pinto & Nuno Leonel, 2015)

Sorti dans une indifférence quasi générale, peu de salles, peu de presse (faut dire que ya tellement de films chaque mercredi, faut dire que ya tellement de documentaires sociaux), Le Chant d'une île fait préquelle au journal très intime de Joaquim Pinto Et maintenant ? (2h45 sur sa vie ainsi que celle de son compagnon Nuno Leonel), élégie du calme face à la tempête. Les deux hommes sont allés en vacances sur l'une des îles des Açores, archipel portugais au beau milieu de l'océan atlantique. Le Chant d'une île est leur rencontre avec des pécheurs du petit village portuaire Rabo de Peixe (queue de poisson).

Joaquim et Nuno ont filmé un an, de décembre 1999 à décembre 2000. On les verra rarement à l'écran (contrairement à Et maintenant ?), parfois en photos, éventuellement quand Nuno plonge dans une piscine pour aider un ami qui apprend à nager. Les deux horsains sont constamment présents en voix off, alternant les commentaires sur les pécheurs qu'ils filment avec patience et discrétion. Tiens, les mômes qui ne vont pas à l'école veulent prendre la caméra, ils leur filent l'appareil et intègrent les images tremblantes où ils se filment entre eux, les visages, les mains qui travaillent.

Venus de métropole, Joaquim et Nuno doivent d'abord se faire accepter par les villageois. Leur porte d'entrée s'appelle Artur qui va leur présenter son gendre Pedro, jeune père de famille, homme heureux de posséder son propre bateau et d'être son propre patron. Les deux cinéastes reporters embarquent sur le bateau, pas un immense cargo, mais une barque – ou quasi – où six hommes peuvent tenir. Se lever à trois heures du matin, aller à 60 km des côtes et suivre le travail de Pedro et des pécheurs, tous des jeunes gars qui ne disent pas grand chose, concentrés à jeter les fils verts armés d'hameçons.

Le père pèche des chinchards (des petits poissons qui se déplacent par ban entier et qui sont près du port), le gendre chasse des espadons. La police maritime vient le contrôler régulièrement, vérifier ses permis. Parfois il ne rentre qu'avec des requins bleus, mauvais jour. Tous les gros poissons partiront à l'export, au Japon, aux USA. Pour lutter contre la concurrence, pas celle des autres villageois, celle des coréens, Pedro achète un plus grand bateau. Pas de pot, il n'a pas la licence, et doit faire une formation, autant de temps sans aller pécher, chômage technique pour ses employés. Pas question de défier la police maritime.

La fascination de Joaquim et Nuno pour ces hommes est sincère. Aucune femme n’apparaît dans le film, sauf d'un peu loin. Ils rencontrent Manuel le jumeau de Pedro, tous deux au large sourire. Eduardo le cousin dont ils filment les derniers instants avant de décéder en mer. Preto un adolescent dont ils disent, devant sa beauté sauvage, qu'il est le fils de Zeus et d'un dauphin. Rui, l'ancien paysan, qui apprend à nager. Emanuel qui prend des cours de plongée pour s'engager dans l'armée. Et les enfants qui vont si peu à l'école attendant de devenir pécheur à leur tour, seul destin à leur vie.

La vie n'est pas idyllique, Rabo de Peixe n'est pas un paradis sur terre. Joaquim et Nuno évoquent pêle-mêle la pèche à outrance, l'entrée de l'euro – janvier 2002, souvenez-vous – la vie pauvre, les tempêtes, les éruptions volcaniques, l'année scandée par les fêtes religieuses. Parfois ils pique-niquent avec la famille d'Artur et découvrent des contrées enchanteresses. Là on se rend compte que les adultes font quinze de plus que leur âge. Et Joaquim n'a peur que d'une chose, que Nuno lors de ses plongées sous-marines ne remontent jamais. Ils habiteront sept années sur cette île.

Captures d'écran issues du DVD édité par Potemkine.

















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