mardi 5 avril 2016

Je tu il elle (Chantal Akerman, 1974)

Trois parties (de durée à peu près égale), trois lieux (une petite chambre, un camion, un appart), trois personnages (Chantal Akerman, Niels Arestrup et Claire Wauthion, respectivement). Et pourtant, le premier film de Chantal Akerman a quatre éléments dans son titre Je tu il elle. Qui est ce tu qui vient en deuxième position ? Le public, une personne que l'on ne verra jamais, ou tout simplement cette elle chez qui Chantal va se rendre ?

Commençons par le je, une voix douce, assez aiguë raconte sa vie dans une chambre encombrée de meubles, un lit, une table, une lampe. Les murs sont blancs et noirs (comme la photographie) éclairées par une lumière vive. Elle raconte qu'elle déplace les meubles, égrène les jours dans ce nouvel appartement. Elle raconte qu'elle écrit une lettre. Puis une deuxième lettre, plus longue. Elle mange du sucre poudre à la cuiller. Elle enlève ses vêtements. Elle se couche.

La caméra est en plan fixe, esquive deux panoramiques pour suivre la jeune femme. Chantal se déplace devant la porte-fenêtre de la chambre. Il neige dehors. Un homme, dont on ne voit que la silhouette, passe devant la fenêtre. Elle reste nue, couverte par son pull, elle semble l'appeler. Chantal Akerman dilate le temps de cette première séquence, 28 jours, et compresse l'espace, avant d'enfin quitter ce lieu, sans même prendre la peine de fermer la porte-fenêtre.

Chantal fait du stop sur une branche d'autoroute. Un camionneur la prend en stop. Elle s’allonge dans sa cabine. Ils vont s'arrêter dans un restau routier, manger un plat chaud. Ils boivent de la bière. Retour dans le camion. Le chauffeur est filmé au plus près. Ils ne se parlent pas. Ils font escale dans un café, ils disent bonjour à tout le monde (que des gars, sans aucun doute eux aussi camionneurs), ils boivent des bières. Le temps et l'espace sont compressés, une seule nuit.

Niels, toujours vêtu de son t-shirt blanc, a une carrure costaude qui fascine Chantal, il raconte sa vie sexuelle tandis qu'il conduit. Sa rencontre avec sa femme à l'âge de 18 ans, son premier enfant qui a 11 ans maintenant et pour laquelle il avoue avoir une excitation, ses érections perpétuelles. Il raconte l'horreur d'une vie banale qu'il fuit en se déplaçant dans toute l'Europe. Il demande à Chantal de le masturber. Elle ne dira pas un mot. Elle regarde il et s'en va vers elle.

Chantal va enfin la retrouver, elle qui habite dans un appartement spacieux. Elle hésite à appuyer sur la bouton de l’ascenseur, puis à entrer à son domicile. Elle est une belle femme aux cheveux clairs. Elles ne causeront presque pas. « J'ai faim », dit Chantal. Elle lui apporte un sandwich. « J'ai soif », voici un verre de vin. Elles ne se diront rien de plus. Elle sont assises l'une en face de l'autre autour de la table, un obstacle qui sert à protéger Claire de Chantal.

Puisqu'elles ne se disent pas un mot, elles se regardent. Ou plus précisément, Chantal regarde Claire, puis commence à ouvrir son corsage. Tout se terminera dans une chambre, comme cela a commencé. Les deux femmes sont nues sur le lit blanc, leur peau se confond presque avec les draps. Elles font l'amour, tendrement. Je est avec elle, le parcours a été tortueux pour qu'elles se retrouvent et ne fassent plus qu'une, puis Chantal, au petit matin, repart vers un nouveau périple.




















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