samedi 23 avril 2016

Ådalen 31 (Bo Widerberg, 1969)

Si les oiseaux peuvent voler en toute liberté autour des cheminées des usines, c'est parce que la fumée n'en sort plus. Et si la fumée ne sort plus des cheminées, c'est que les ouvriers des usines sont en grève. Dans la petite ville d'Ådalen en ce printemps de 1931, la vie des habitants ne se fait plus en fonction du travail mais de la grève. Cela n'empêche pas Harald Andersson (Roland Hedlund), le père de famille de se raser comme il faut devant le petit dernier, ni la mère Karin (Kerstin Tidelius) de repasser la chemise de son époux et encore moins les deux frères Kjell l'aîné (Peter Schildt) et Åke (Stefan Feierbach) de se chamailler gentiment comme n'importe quel matin.

Les trois hommes quittent la maison la matin. Åke rejoint ses jeunes amis, ils vont jouer dans les champs et devant les granges, ils ont construit des avions de fortune. Ake se cassera la jambe après une mauvaise chute. Kjell a un travail dans un bureau qu'il se dépêche de quitter pour rejoindre ses camarades dans une maison abandonnée où ils jouent, avec des instruments bricolés, du jazz. Avec son meilleur ami Nisse (Jonas Bergström), qui joue aussi de la trompette dans un orchestre plus classique (les autres sont des vieux qui détestent le jazz), Kjell discute des filles. Il donne des conseils à son ami pour les séduire, sur le moyen de trouver leurs zones érogènes.

Le jazz n'est pas la seule passion de Kjell, dont Ådalen 31 adopte le point de vue. Les filles sont son jardin secret. Nisse est maladroit avec elles, il est obligé, dans une scène très drôle, de les hypnotiser pour parvenir à les déshabiller. Kjell est amoureux de Anke (Marie De Geer) qui se trouve être la fille du patron de son père. Revenue de la capitale où elle fait ses études, la jeune fille ne tarde pas tomber amoureuse de Kjell et à se retrouver enceinte. Au grand dam de sa mère, monstre de froideur, qui l'amène illico presto voir un médecin pour se débarrasser de cette progéniture issue d'un ouvrier.

Harald, portant cravate sur sa chemise bien repassée, a décidé de vivre dignement la grève entamée depuis 93 jours. L'argent manque mais sa générosité est intacte. A un pauvre hère maltraité par d'autres grévistes qui n'ont pas trouvé d'autres activité, il lui offre un verre d'alcool. La bouteille est à moitié vide. Harald lui donnera son verre. Tout le monde attend des négociations avec les patrons des usines. Bo Widerberg les filme de manière glaciale, jamais dans le même cadre, comme des monstres d'égoïsme, alors qu'il unit tous les ouvriers, leurs familles, toujours ensemble, dans le même plan.

Les patrons, devant leur refus de négocier l'augmentation des salaires, devant leur sempiternel raisonnement sur les comptes à rendre aux actionnaires, veulent que les marchandises qui croupissent dans les stocks puissent quitter les usines. Ils engagent des ouvriers, des « Jaunes » comme les appellent les grévistes, venus d'ailleurs pour travailler. Evidemment, cela met en colère les grévistes. Après un affrontement musclé, l'une des plus belles scènes voit Harald et un très jeune ouvrier gréviste, dans un panoramique entre leurs deux visages, discuter avec frénésie. Le premier veut négocier avec le patron, le second la grève générale.

Comme à son habitude, Bo Widerberg manie avec adresse les ruptures de ton. La douceur de la première partie précède une violence inouïe. La marche des ouvriers au son de l'Internationale jouée par l'orchestre du village pour prendre d'assaut le campement des Jaunes est stoppé par des policiers. Pour les narguer, ils les éblouissent avec des miroirs, le cinéaste montre des gamins qui rigolent devant les soldats qui leur tournent le dos. C'est une victoire mais les patrons voient d'un mauvais œil cette reculade, leur réaction est sans appel : la préfecture envoie l'armée.

La séquence finale est glaçante et terrifiante. Les ouvriers grévistes, leur famille et leurs amis ne peuvent pas grand chose face à la mitraillette qui tire dans le tas. Ils n'ont pas pu résister aux balles mais c'est un séisme politique en Suède. Le carton final indique que suite aux morts subies à Ådalen, le gouvernement conservateur a perdu le pouvoir. Mais l'égalité n'est pas encore là. Le dernier mot sera pour Kjell qui parle au jeune gars qui s'énervait contre son père : « il nous faudra apprendre, étudier, si nous voulons prendre le pouvoir. »
















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