vendredi 18 mars 2016

Suite armoricaine (Pascale Breton, 2015)

Je n'avais pas vu Valérie Dréville dans un film depuis La Sentinelle en 1992, l'un de mes films préférés et socle de ma cinéphilie. Arnaud Desplechin la dirigeait avec Marianne Denicourt, notamment dans cette scène merveilleuse du duo des chats. Et si Suite armoricaine était une suite de La Sentinelle, 24 ans plus tard, une variation comme Trois souvenirs de ma jeunesse l'était avec Comment je me suis disputé ? Valérie Dréville passe de l'autre côté du banc, elle n'est plus une étudiante thésarde comme s'amusait à les dépeindre Desplechin (jusqu'à se faire accuser par une partie de la presse d'être un cinéaste incapable de parler d'autre chose), elle est dans le film de Pascale Breton une prof de fac, Françoise de son prénom, qui revient à Rennes vingt ans après avoir quitté la ville et être allé s'installer à Paris.

Cela suffirait pour évoquer l'un des meilleurs films vus ces derniers mois, pour aller découvrir la douceur avec laquelle Françoise mène ses cours d'histoire de l'art, cette manière dont elle montre sur son écran les tableaux de Poussin. La précision des descriptions et la limpidité de son discours sont aussi passionnants que ceux de National gallery de Frederick Wiseman. Avec cette même douceur, elle parle, entre les cours à son amant Sven, laissé à Paris. On ne le verra jamais, on n'entendra que sa voix qui ne cesse de psychanalyser Françoise, de comprendre pourquoi elle est revenue sur sa terre natale, pourquoi elle a loué un appartement au lieu d'une chambre d'hôtel. Il n'a pas compris qu'elle a entamé un processus irréversible où elle a décidé de se séparer de lui. Elle-même ne l'a pas compris qu'elle se séparait de lui.

Françoise ne se souvient pas de son passé, ou plutôt elle a rejeté des pans entiers de ses vingt ans. Le générique de Suite armoricaine est composé d'images d'archives des combats menés par les Bretons (la lutte pour sauvegarder Plogoff par exemple) que le génération de Françoise n'a pas connu, cette génération ne s'intéressait qu'au rock. Une photo en noir et blanc ravive le souvenir de cette période. Cette image séminale irrigue toute la fiction qui se décline en chapitres, qui suit les mois d'octobre à mars, de l'automne au printemps. Françoise a six mois pour recouvrer tous ses souvenirs, pour refaire sa vie à Rennes, pour retrouver les traces laissées par son grand-père, guérisseur de peurs sur lesquels deux étudiants très sérieux veulent écrire. Rien que l'intitulé de leur thèse est un roman en soi, énoncé entre deux phrases en breton.

Dans mon hommage à Rivette le mois dernier, j'écrivais que peu de cinéastes étaient ses enfants spirituels. Je crois bien que Pascale Breton en est. Cette photo est le point de départ d'une énigme, d'une voyage que fait Françoise à travers la ville et les bâtiments de la fac de Rennes. Elle croisera ses anciens amis restés en Bretagne, Stéphane (Yvon Raude) devenu le chef de la bibliothèque universitaire, la grande Catherine (Catherine Riaux) qui vit en haut d'un immeuble qui tremble (scène impressionnante et surréaliste) et qui semble avoir perdu la raison, comme le dit Stéphane, John Le Scieller (Laurent Sauvage), désinvolte et éternelle rock star qui débarque en plein colloque sur les atlas médiévaux et enfin Moon (Elina Löwensohn), devenue SDF. Le film avance comme un jeu de l'oie, en suivant un parcours sur lequel les personnages n'ont pas de prise.

En parallèle aux déambulations nocturnes (dans la ville) et diurnes (dans l'université) de Françoise, on croise Ion (Kaou Langoët), jeune étudiant aux cheveux en pétard. Il commence ses études, s'est inscrit en cartographie et tombe amoureux de Lydie (Manon Evenat), étudiante aveugle. Ion fait le contraire de Françoise, il déambule la nuit sur le campus et circule en ville le jour où il croise un groupe de SDF qui s'incruste dans sa chambre universitaire. Le personnage est mystérieux, se dévoile peu aux autres, seule la mise en scène de Pascale Breton qui revient légèrement en arrière dans le récit, redistribue les subjectivités permet de comprendre quel lien secret lie Ion et Françoise. C'est moins la résolution de l'énigme qui passionne dans Suite armoricaine que la variété des indices, la somme des émotions et l'impression de n'avoir pas vu un film aussi singulier depuis bien longtemps.

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