dimanche 6 mars 2016

Le Caïman (Nanni Moretti, 2006)

Depuis dix ans, Bruno Bonomo (Silvio Orlando) n'a pas produit un film, n'a pas tourné un seul plan et n'a mené aucun projet personnel à terme. Jadis, quand le cinéma italien était florissant, Bruno était le chantre de la série B avec des films fauchés (on imagine en tout cas), où il mêle la politique (Mao Tsé-toung) et le cinéma de genre (un film d'action), tel « Cataractes », Cataratte en italien (on est pas loin de karaté), dont on aperçoit la scène finale dans un cinéma où un hommage est rendu à Bruno. Son hôte vante le courage et la force du producteur qui a lutté pendant des années contre la tyrannie du cinéma d'auteur. En 2006, quand Le Caïman est présenté à Cannes et sort en France, Nanni Moretti EST le cinéma italien. Tous les films italiens qui sortent depuis Journal intime sont jugés à l'aune du cinéma de Nanni Moretti. C'est de cette tyrannie dont parle l'animateur de cette séance où est présenté Cataractes.

Alors qu'a fait Bruno depuis dix ans. Il a tenté de garder son studio où il tourne ses films de série B. Pour faire marcher sa petite entreprise, Bruno loue les locaux pour des tournages de télé-achat. La télévision poubelle dont parlait Nanni Moretti dans Sogni d'oro est devenue, bien malgré lui, le gagne-pain du producteur. Sa fidèle assistante lui rappelle les dettes exorbitantes de la boite et l'impatience du banquier. Bruno à une idée : raconter le retour de Christophe Colomb sur la Niña. Un film maritime pour se remettre à flot, judicieux ! Il suffira d'une maquette mais ce sera un film sérieux qu'un de ses amis, un cinéaste d'un certain âge réalisera, jusqu'à leur rupture. Non, une maquette de bateau de 12 cm ça ne fera pas un joli navire du 15ème siècle. Le projet tombe à l'eau, le réalisateur pressenti va tourner son film en costumes avec un vrai décor, sur une vraie mer et avec l'acteur que Bruno avait trouvé pour un autre projet.

Pendant ses dix ans, Bruno a mené une vie de famille. Son actrice fétiche est également son épouse. Paola (Margherita Buy) et Bruno ont deux enfants. L'aîné joue au foot, ce qui met le père en transe à chaque match. A la maison, les deux garçons jouent au légo, dont ils étalent les pièces dans le salon. Bruno leur raconte chaque soir les scénarios des films qu'il n'a jamais pu tourner depuis dix ans, depuis qu'il est papa. Au centre de chaque récit, fantastique et improbable, donc comique, Aidra le personnage féminin sur-puissant que Paola incarnait au cinéma. Les deux gamins sont les uniques spectateurs des productions de Bruno. Ils ignorent que leur mère a été actrice, il ignorent aussi que les parents vont se séparer. Bruno fait des crises de jalousie à Paola dès qu'il la voit avec un homme, ce à quoi elle répond invariablement que tout le monde sait qu'ils sont séparés, sauf lui. Bruno part chaque soir dormir dans son studio, dans un petit lit.

Et le soir dans ce lit, Bruno lit un scénario donné par Teresa (Jasmine Trinca). Après bien des refus, elle soumet son projet à Bruno. Ce dernier imagine un polar et Nanni Moretti met en forme la vision de Bruno. Enthousiasmé, il soumet le projet à des amis qui voient ce que Bruno n'a pas vu : ce scénario parle de Berlusconi, l'unique sujet de conversation en l'Italie ces dix ans écoulées. Et bientôt, plus personne ne veut mettre de l'argent dans un tel film. Le Caïman procède à une phénoménale mise en abyme où Nanni Moretti joue son propre rôle d'acteur qui refuse puis accepte de jouer le Président du Conseil italien. La lecture fantaisiste du scénario de Bruno se superpose à celle plus réaliste de Teresa, qui va réaliser le film, et à des images d'archive glaçantes de Berlusconi. Michele Placido incarne un hilarant comédien narcissique qui parle de Gianmaria (Volonte) à chaque phrase. Les jeunes réalisateurs italiens du moment (Matteo Garrone, Paolo Sorrentino, Paolo Virzi) jouent des petits rôles, comme pour rappeler que le cinéma italien ne se résume pas à Moretti et que seul le cinéma pouvait faire un procès à Berlusconi.













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