jeudi 4 février 2016

Chocolat (Roschdy Zem, 2016)

Le 30 septembre 1900, Auguste et Louis Lumière filment Georges Footit et Chocolat. Ce film des deux frères est visible à la toute fin de Chocolat, juste avant le générique. Plan fixe où les deux clowns font leur numéro : Footit esquisse un mouvement circulaire accroupi, Chocolat se saisit d'une chaise pour le frapper, tous deux sautillent, cherchent à se faire tomber l'un l'autre puis sortent du cadre. Dans le film de Roschdy Zem, les frères Podalydès jouent les frères Lumière. On les voit, derrière leur appareil, donner des directives aux clowns dans une séquence charnière où l'art ancien de la pantomime rencontre l'art nouveau du cinématographe.

Ce qui passionne dans la première heure de Chocolat, ce sont les coulisses du spectacle. Au lieu de se mettre à la place du badaud qui vient au cirque, Roschdy Zem montre l'érection du chapiteau, les artistes qui auditionnent devant le patron, Monsieur Delvaux (Frédéric Pierrot). Parmi eux, Footit (James Thierrée, acteur physique qu'on avait vu dans Mes séances de lutte de Jacques Doillon, il est aussi le chorégraphe des numéros que l'on verra dans le film et accessoirement le petit-fils de Charles Chaplin). Le nouveau numéro de Footit ne plaît pas à Delvaux qui ne veut pas l'engager. Du déjà-vu. Le patron veut du neuf.

Quand Footit observe des coulisses l'arrivée d'un sauvage africain, comme le présente Delvaux, au milieu de la petite piste du cirque, il sent qu'il peut faire de cet homme habillé de peau de bêtes autre chose. L'arrivée d'Omar Sy sur la piste est là aussi vue des coulisses. On sait qu'il joue le rôle de cet Africain que l'on présente comme un sauvage cannibale, Delvaux le traite de Nègre, il doit faire peur au maigre public qui en 1897 n'a jamais vu de Noir, n'est jamais sorti de son village. La caméra subjective montre les regards effrayés, pour enfin montrer le visage d'Omar Sy affublé d'une coupe de cheveux monumentale.

Trois ans est la durée entre la rencontre entre Footit et celui qu'il va surnommer Chocolat, abandonnant le pseudonyme africanisant que lui avait donné Delvaux, et le succès qui emmène les frères Lumière à filmer le duo. Ces trois années, montre comment Footit dirige son comparse, comment il négocie ses contrats, comment il l'exploite sans vergogne. Puis comment se crée la jalousie des autres artistes du cirque, d'abord la rage de la mère Delvaux (Noémie Lvovsky) puis des collègues du grand cirque de Monsieur Oller (Olivier Gourmet) qui les débauche pour aller à Paris. Enfin comment l'amour rentre dans la vie de Chocolat alors que Footit reste solitaire.

Les numéros du duo sont basés sur un schéma primitif, Footit est le clown blanc, Chocolat l'Auguste, l'actif et le passif, le fesseur et le fessé. Là encore, à mon grand étonnement, la limpidité de la mise en scène de Roschdy Zem permet de prendre un grand plaisir aux numéros. Un plaisir coupable car c'est bien entendu toujours au dépend de Chocolat que l'on rit, des remarques sur sa peau, sur sa bêtise, sur sa couardise. Le film expose tout le racisme, le mépris et le paternalisme envers les Africains. Chocolat profite de son succès parce qu'il accepte cette position de dominé jusqu'à cette fameuse scène où il visite l'exposition coloniale avec Marie (Clothilde Hesme).

La deuxième heure de Chocolat montre, après l'ascension, la déchéance de ses personnages. L'alcool, le jeu et ses dépenses folles auront tôt fait de mettre Chocolat dans une position délicate. La rapacité d'Oller et de Footit qui le voient comme leur propriété est montrée sans manichéisme outrancier. Le paroxysme est atteint quand Félix Potin veut faire une publicité : le visage de Footit est humain, celui de Chocolat est celui d'un singe. La dénonciation du racisme peut paraître édifiante, mais elle est terriblement efficace et d'une sincérité à toute épreuve. Roschdy Zem dans ses autres films (Mauvaise foi, Omar m'a tuer) n'a jamais cessé de filmer cette maladie mentale qu'est le racisme.

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