mardi 15 décembre 2015

Le Fantôme de la liberté (Luis Buñuel, 1974)

Le Fantôme de la liberté prolonge et amplifie la liberté narrative élaborée dans Le Charme discret de la bourgeoisie. Ce dernier film se contentait de six personnages principaux et de quelques autres secondaires, le film suivant de Luis Buñuel, toujours écrit avec Jean-Claude Carrière ne présente plus de personnages principaux, adoptant une forme de films à sketches reliés entre eux par l'un ou l'une des protagonistes qui file d'une saynète à l'autre. Ainsi, la distribution du Fantôme de la liberté regroupe la fine fleur des acteurs et actrices de ce début des années 1970.

Pour comprendre le système, il suffit de raconter les trois quatre premières séquences. Dans une église de Tolède en 1808, un soldat observe une statue. Aujourd'hui une bonne (Muni) raconte l'histoire de cette statue à deux fillettes qui se voient offrir par un monsieur des belles images à des fillettes, la bonne ramène les fillettes chez leurs parents (Monica Vitti et Jean-Claude Brialy). Brialy raconte cette scène à son médecin qui est dérangé par son assistante qui demande à partir soigner son père malade mais se rend dans une auberge où logent des moines, etc etc.

Ces passages assimilables au mode « du coq à l'âne » déjà bien mis à l’œuvre dans La Voie lactée (1968), film en forme de road movie, permet au cinéaste d'aborder ces thèmes préférés, la religion, la bourgeoisie, la justice, l'armée, la sexualité, le pouvoir. Chaque personnage en prend pour son grade, certes, mais toujours avec une distance finement élaborée et en détournant chaque élément pour en modifier le sens. Le tout sans passer par la case du rêve, au contraire le réalisme est constant mais sans cesse manipulé, inversé ou dévié de son sens initial.

Parmi les exemples les plus frappants et amusants, cette séquence où Vitti et Brialy regarde les images données par ce monsieur aux fillettes. Au lieu de clichés érotiques attendus, ce sont des images de monuments historiques, ce qui choque les parents. Plus loin, une bonne famille bourgeoise invite des amis. Le salon n'a pas de chaises, mais des cuvettes de WC pour s’asseoir. Un invité s'excuse de quitter le salon, pour se rendre dans la cuisine, ferme la porte à clé comme si cet invité se rendait aux toilettes et mange un peu honteusement.

Il y a bien d'autres séquences sur ce réalisme inversé, comme si les personnages étaient dans une autre dimension et qu'ils ne le savaient pas. Les moines qui boivent et jouent aux cartes. Une tante et son neveu amoureux. Un homme bien sous tout rapport (Michael Londasle) qui exige, cul nul, qu'on le fouette. Un sniper se voit condamné par un juge, mais quitte le tribunal malgré tout et signe des autographes. Ou encore ces parents (Jean Rochefort et Pascale Audret) qui demande à leur fillette disparue où elle se trouve alors qu'elle les accompagne.

Superficiellement, on pourra qualifier chaque séquence de surréaliste. Mais le surréalisme n'a rien à voir avec la perte de logique et le sens de l'absurde qui est mis en œuvre dans Le Fantôme de la liberté. Ce sens de l'absurde produit chez le spectateur des effets de surprise inattendus. Il existe peu de films où, tout en comprenant tout ce qui se passe, on ne sait jamais quelle tournure va prendre le récit. L'inventivité des récits provoque aussi du rire. L'humour du film n'est pas aisé, il est parfois grinçant, souvent d'une ironie mordante, mais il est d'une liberté folle et nécessaire.















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