mardi 13 octobre 2015

Une jeunesse allemande (Jean-Gabriel Périot, 2015)

Contrairement on ce que l'on peut lire partout, Une jeunesse allemande, n'est pas un documentaire. Ou pas seulement. Le premier long-métrage de Jean-Gabriel Périot, auteur d'une joli nombre de courts-métrages visibles sur son site perso (http://www.jgperiot.net/) n'est pas non plus une fiction, comme on l'entend habituellement. Cela se fait beaucoup dans le roman actuellement, prendre une figure connue et écrire autour des faits. Le cinéaste l'applique au cinéma. Documentaire contre fiction, match nul. Une jeunesse allemande a pour sujet le groupe d'extrême gauche et terroriste Fraction Armée Rouge (Rote Armee Fraktion) qui sévit dans les années 1970. Mené par Ulrike Marie Meinhof (1934-1976), le récit court sur une dizaine d'années, du milieu des années 1960 à son décès. Elle est cette jeunesse allemande qui occupe le titre du film, et sûrement pas la jeunesse allemande.

Plutôt que reconstituer, la vie, le travail et la mort de Meinhof, comme tous les biopics récents et à venir, Jean-Gabriel Périot choisit une voie peu commune, les archives. Extraits d'émissions de télévision, courts-métrages conçus par les amis de Meinhof, extraits de films (Vladimir et Rosa de Godard, Zabriskie Point d'Antonioni, L'Allemagne en automne de Fassbinder). Tous sont montrés de manière chronologique, sans commentaires extérieurs. Le spectateur est ainsi plongé dans le présent, suivant un récit linéaire, une histoire d'un groupe de jeunes gens d'une vingtaine d'années. On peut être, au début, décontenancé par l'absence de contexte ou le manque de repères historiques, mais à peine plus que par des fictions historiques (au hasard American sniper de Clint Eastwood ou The Program de Stephen Frears) sur des personnages controversés. On est très vite tenu en haleine par ce réel qui dépassera la fiction.

Ulrike Meinhof est une journaliste féministe et marxiste. Elle écrit dans le magazine Konkret et défend ses idées radicales. Son discours est rodé et elle le développe aussi à la télévision où elle est souvent invitée, faisant souvent figure d'avocat du diable face à un plateau entièrement composé d'hommes. Il se dégage de son visage alors, lorsqu'elle s'exprime clairement face à eux, une ironie mordante. Peu importe qu'on soit d'accord, elle sait convaincre. Elle rencontre des amis (le journaliste Andreas Baader, le cinéaste Holger Meins, l'actrice Gudrun Esslin) qui partage ses idées. Le film suit les événements qui cristallisent leur radicalisation, soit le passage d'un discours théorique à la pratique terroriste : un manifestation contre le Shah d'Iran, une lutte contre les journaux de droite Bild et Die Welt, des courts-métrages de propagande, dont un où, symboliquement, ils font flotter un drapeau rouge dans les rues de Berlin.

Quand le groupe se met au terrorisme, les images commencent à manquer. Ils vivent dans la clandestinité, ils sont soutenus par d'autres groupes terroristes. En tout cas, ce n'est plus eux que l'on voit sur l'écran. On découvre les dégâts causés par les attentats, les avis des gens de la rue sur ces événements (cette fameuse opinion publique), le Chancelier Helmut Schmidt ou le président du parti d'opposition Helmut Kohl. La machine de guerre anti Meinhof est puissante, à juste raison, mais apparaît aussi radicale et violente que celle de la RAF. Sur le terrain de l'idéologie, le pouvoir gagne toujours. Il ne s'agit pas pourtant pour Jean-Gabriel Périot de montrer les deux opinions, d'abord Ulrike puis le pouvoir mais de rester dans la morale cinématographique : ne pas reconstituer les attentats, ne pas montrer la mort au travail. Les dernières minutes d'Une jeunesse allemande montrent le cinéaste Rainer Werner Fassbinder dénoncer tout le gâchis qu'a constitué la RAF, soit la fin des idéaux et de l'idéologie.

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